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Pouvons nous savoir avec certitude que nous sommes libres? (Nadia Humbert TL 2008)

Publié le 22/09/2008 à 21:44 dans Bonnes copies d'élèves

Pouvons-nous savoir avec certitude que nous sommes libres ? Le sujet nous amène à nous interroger sur l’existence de la liberté. En effet, nous nous considérons souvent comme relativement libres et, dans une certaine mesure, maîtres de nos actions et de nos choix. Le monde nous impose tout de même des contraintes. Il y a des contraintes naturelles : nous avons un corps et des besoins, le temps s’écoule sans que nous puissions le contrôler et la mort nous attend. Nous avons aussi des obligations envers la société, il nous faut respecter les lois et les autres. Mais cela nous laisse, à défaut d’une liberté absolue, une liberté relative. Nous essayons de surmonter ces contraintes et les progrès de l’humanité permettent désormais de réaliser ce qui, il n’y a pas si longtemps, paraissait impossible. L’homme marchant sur la Lune n’est-il pas un exemple de sa liberté ? Cependant, le sujet pose la question de la certitude. Peut-on être sûr de l’existence de la liberté ? Peut-on en trouver des preuves ? Ou seulement des indices ? Et comment pourrait-on arriver à une telle incertitude ? Dans un premier temps, nous pourrons tenter de rassembler des indices de cette liberté qui nous assurerait son existence. Mais cette liberté pourrait bien être une illusion. Alors, nous serions dirigés par des forces qui nous dépassent. Cependant, cette théorie pourrait bien être limitée, et si elle se révélait telle, nous pourrions peut-être affirmer que la liberté existe.

Si nous sommes entourés de contraintes et que nous nous considérons comme libres, alors la liberté n’est pas l’absence de toute contrainte. Quand est-on libre, alors, si ce n’est pas lorsque nous sommes libérés d’une contrainte ? La liberté s’expérimente à travers le choix. En effet, quand je dois choisir entre ce chemin-ci ou celui-là, je suis libre d’emprunter l’un ou l’autre, de prendre ma décision de l’un ou l’autre côté. Si j’ai pris le premier, rien ne m’y a contraint et j’aurais aussi bien pu prendre le second. J’ai donc décidé d’abandonner tout ce qui aurait pu arriver si je l’avais pris, tous les événements qui en seraient découlés. C’est pourquoi nous ressentons parfois de la culpabilité ou de l’angoisse après un choix. Ces sentiments montrent l’existence de la liberté. Si j’avais dû faire ce choix-là plutôt que l’autre, si quelque chose ou quelqu’un m’y avait obligé, ce ne serait pas à moi de me sentir coupable des conséquences. Je ne les aurais pas provoquées. Ce serait à cette autre chose ou à cette autre personne de s’inquiéter. L’angoisse est donc un signe de liberté. C’est ce qu’affirme Sartre dans L’existentialisme est un humanisme par lequel il veut montrer que l’homme est libre et donc responsable de ce qu’il est, de ce qu’il deviendra. Ce qui le rend libre, ce sont ses choix d’être de telle ou telle manière, de se comporter de telle façon, d’agir ou de ne pas agir.

L’expérience de la culpabilité se rapproche de celle de la moralité. La morale juge ce qui ne se fait pas. Prenons un exemple. Un vol se fait souvent contre la morale. Voler, c’est mal, c’est priver quelqu’un de ce qui lui appartient. Mais si la morale le considère, c’est qu’il est possible de l’éviter, donc qu’on a le choix. La morale présuppose donc la liberté. Si j’étais obligé de voler, qu’il était impossible de faire autrement, alors comment pourrait-on me considérer coupable de mon acte, alors que je n’en suis pas à l’origine ?

Descartes avait aussi remis en cause la liberté et tenté d’en trouver des preuves. Selon lui, la liberté s’expérimente travers le doute et la conscience. Pour lui, le doute existe bel et bien. S’il le remet en cause, alors il doute qu’il doute. Il est donc bien en train de penser. Pour lui, la conscience et la pensée sont une seule et même chose. Tout ce dont il a conscience est pensée et le reste est corps. Or, il contrôle sa conscience, c’est-à-dire qu’il en fait ce qu’il veut, il pense par lui-même. Il est donc libre de penser, libre de douter. C’est sa capacité à suspendre son jugement qui fait sa liberté, la connaissance de ce pourquoi il agit (car il connaît sa pensée).

Cependant, les travaux des psychanalystes, Freud en particulier, contredisent cette théorie. En effet, ils affirment l’existence d’un inconscient. La pensée ne serait pas alors simplement la conscience, mais celle-ci serait doublée d’un inconscient qui agirait aussi sur notre corps, contrôlerait certains de nos actes. Une expérience, celle de l’hypnose, le montre, au travers des ordres post-hypnotiques. En effet, quand l’hypnotiseur demande au patient de faire quelque chose, un acte incongru, après son réveil, celui-ci obéit, alors qu’il est conscient. Et lorsqu’on lui demande pourquoi il réalise cet acte, le patient se trouve une excuse toute autre. Cela signifierait donc que certaines causes, dont nous n’avons pas conscience, comme l’inconscient, nous font agir au mépris de nos propres choix. Alors, on peut se demander si ce n’est pas le cas en permanence et si toutes nos décisions viennent de nous ou d’une autre puissance. Dans ce cas, comment affirmer l’existence de la liberté ?

De nombreux philosophes comme Spinoza ou les stoïciens pensaient que tout était déterminé. Ainsi, les hommes n’étaient pas maîtres de leurs actions et de leurs conséquences. Pour eux, il existe une stricte relation de cause à effet. Si quelque chose arrive elle est la conséquence d’une autre chose, qui est elle-même la conséquence d’une autre chose, qui a elle-même une cause, etc. De la même manière, la conséquence va devenir la cause d’une autre chose, qui va elle aussi avoir des effets. Selon eux, tout est donc programmé à l’avance et l’homme ne peut rien y changer. Certains affirment cela suite aux observations de tels phénomènes dans la nature. Les animaux sont conditionnés par leurs instincts, les cycles se succèdent toujours de la même manière, etc. En partant du principe qu’il n’y a pas d’effet sans cause et que la suite de causalité s’enchaîne, comme les maillons d’une chaînette ou des dominos qui tombent les uns sur les autres, l’avenir est donc tracé à l’avance et les hommes font partie de cette chaîne de causalité. Ils doivent accomplir leur destin.

Cette théorie supprime alors toute liberté pour eux. En effet, tous leurs choix, et même toutes leurs pensées, sont conditionnés par les séries de causalité antérieures. Or, si l’homme ne choisit pas par lui-même, il n’est plus libre. De même, l’existence d’une destinée inéluctable ne lui laisse aucune marge de manœuvre. Pour les stoïciens, il lui reste la liberté d’accepter et de se réjouir de son destin. Mais en suivant cette logique, par lequel il n’y aurait pas d’effet sans cause, théorie plus fataliste que stoïcienne, s’il accepte son destin, il y aurait également une cause à cet effet, et de même s’il se réjouit. Cette théorie est incompatible avec l’idée de liberté en affirmant qu’elle n’existe absolument pas. Pourquoi alors aurions-nous cru être libres, jusque là ? " La sensation de liberté est l’ignorance des causes qui nous poussent à agir " répond Spinoza. On ignore les causes, certes, mais, si nous n’en avons aucune preuve, comment pouvons-nous affirmer leur existence ? Peut-être y en a-t-il, comme dans l’ordre de la nature, et alors nous ne sommes pas libres, nous ne choisissons pas par nous-mêmes. Mais il est également possible qu’il n’y en ait pas et dans ce cas-là, la liberté existerait bel et bien. Cela ne suffit pas à prouver son existence. Mais que faire alors de tous ces indices de notre liberté ? Si nous parvenons à montrer les failles de cette théorie déterministe, peut-être pourrons-nous alors prouver que la liberté existe.

La théorie déterministe part du principe qu’il n’y a pas d’effet sans cause, car ainsi va la nature. Cependant, cette théorie date de plusieurs siècles et depuis, la science a fait des progrès… qui nous montrent que le hasard existe bien dans la nature. Un effet sans cause, cela peut paraître impossible jusqu’aux découvertes de la physique quantique, qui prouve l’influence des probabilités dans la nature. Cette feuille pourrait soudainement disparaître et réapparaître de l’autre côté de la Terre. Cependant, c’est hautement improbable. C’est une question atomique très complexe, mais elle prouve donc que tout n’est pas déterminé et que le hasard existe.

Il y a deux manières de répondre à ce problème. Le hasard dont on parle là, cet événement sans cause, vient des atomes, et pas de la conscience d’un homme. Si un événement comme cela peut bien se produire, elle tient du hasard et non d’une volonté. Cela peut bien sûr rompre avec l’ancienne causalité, mais elle risque d’en créer une nouvelle, ne laissant pas plus de choix à l’homme. L’avenir ne serait plus tout tracé à l’avance, mais l’homme ne serait pas moins soumis à une causalité ; cela ne prouve donc rien. S’il existe des événements dans la nature, il en existe peut-être dans l’esprit des hommes, dont ils sont la cause, mais peut-être pas. C’est quelque chose que l’on ne peut pas affirmer.

La deuxième façon de répondre est que le hasard en question n’est donc pas déterminé par la nature. Mais elle n’est pas forcément celle par qui tout arrive. En effet, on peut parfaitement considérer le déterminisme, la fatalité comme venant d’une puissance divine. Et alors, le hasard ne serait que la conséquence de sa volonté, et ce ne serait plus un hasard. Comme personne n’a jamais réussi à prouver qu’une telle puissance n’existait pas et ne pouvait pas tout diriger ainsi, on ne peut pas affirmer que cet événement est vraiment une rupture dans la chaîne de causalité.

On peut aussi faire la critique du déterminisme par le biais de l’idée de responsabilité évoquée plus haut, et dont l’existence semblait prouver la liberté. A quoi pourrait bien servir la justice, si les coupables n’avaient pas choisi leurs actes, n’en étaient pas à l’origine ?

La justice (ou la morale par le biais de la culpabilité) impose un châtiment pour ceux qui agissent mal. La peur du châtiment n’est-elle pas bien souvent la cause, la raison pour laquelle nous ne faisons pas cet acte, pour laquelle nous respectons les lois ? La justice ferait alors entièrement partie du déterminisme, étant une cause, et l’idée de responsabilité, de culpabilité agirait de la même manière. Cela ne prouve donc pas que le déterminisme serait absurde. Il paraît être une théorie solide, qui remet en cause la liberté.

Ainsi, même s’il y a beaucoup d’indices qui tendraient à prouver l’existence de la liberté, on ne peut pas l’affirmer avec certitude à cause de la possibilité amenée par la thèse que tout arrive par une cause. Cependant, on est aussi en droit de se demander s’il est possible de savoir quelque chose avec certitude. Peut-on réellement être sûr de la réalité qui nous entoure, comme se le demandait Descartes avec son doute hyperbolique ?

 

Article écrit par Éric Chevet