Accueil > Articles > Analyse d'un texte de Hannah Arendt sur "la force de la vérité".
Publié le 09/12/2022 à 14:34 dans Explications de textes
« Des affirmations comme « la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits », « la Terre tourne autour du Soleil », « Mieux vaut souffrir le mal que faire le mal », « En août 1914 l’Allemagne a envahi la Belgique » sont très différentes par la manière dont elles ont été établies, mais, une fois perçues comme vraies et déclarées telles, elles ont en commun d’être au-delà de l’accord, de la discussion, de l’opinion, ou du consentement. Pour ceux qui les acceptent, elles ne sont pas changées par le nombre grand ou petit de ceux qui admettent la même proposition ; la persuasion ou la dissuasion sont inutiles car le contenu de l’affirmation n’est pas d’une nature persuasive mais coercitive.
(…) Quand on la considère du point de vue de la politique, la vérité a un caractère despotique. Elle est donc haïe des tyrans, qui craignent à juste titre la concurrence d’une force coercitive qu’ils ne peuvent pas monopoliser, et elle jouit d’un statut plutôt précaire aux yeux des gouvernements qui reposent sur le consentement et qui abhorrent la coercition. Les faits sont au-delà de l’accord et du consentement, et toute discussion à leur sujet - tout échange d’opinions qui se fonde sur une information exacte - ne contribuera en rien à leur établissement. On peut discuter une opinion importune, la rejeter ou transiger avec elle, mais les faits importuns ont cette exaspérante ténacité que rien ne saurait ébranler, sinon de purs et simples mensonges. »
Hannah ARENDT - Vérité et politique (1967), trad. P.Lévy, dans La crise de la culture, Gallimard, coll. « Idées », 1972, p.305 - 307
Thème du texte : La force de la vérité.
Problématique : faut-il penser que la vérité est fragile ou bien qu’elle possède une force qui lui est propre ?
Thèse : La vérité a le pouvoir de s’imposer d’elle-même.
Argument : au-delà du fait que les hommes acceptent ou non la vérité, au-delà des opinions et des croyances qu’ils peuvent avoir sur ce qui est vrai ou non, la vérité peut s’imposer : seul le mensonge peut ébranler la vérité.
plan du texte : on peut ici reprendre le découpage en deux paragraphes :
par. 1 - Les vérités ne dépendent pas de l’opinion (elles ne sont pas relatives au fait qu’on les accepte ou non) mais elles peuvent être établies rigoureusement.
Par 2 - La vérité est donc détestée par le tyrans car ils ne peuvent entièrement la contrôler : lorsque des faits sont établis ils s’imposent malgré tout. Seul le mensonge peut ébranler la vérité.
Analyse des idées principales du texte :il s’agit d’une restitution explicative du raisonnement de l’auteur dans le texte. Le fait d’expliquer ce raisonnement et son contenu n’interdit pas que vous apportiez vos propres connaissances pour illustrer et développer le propos de l’auteur lorsque vous faites cette explication en devoir. De même n’oubliez pas en devoir de citer le texte quand vous l’analysez.
Par 1 : Il existe différentes sortes de vérités et l’auteur nous en donne quelques exemples (des vérités mathématiques ou physiques, des vérités morales ou encore des vérités historiques). Ces vérités sont donc différemment « établies » (on pourrait alors se demander pour chacune d’entre elle comment comment le sont-elles).
Une fois ces vérités établies, perçues et déclarées vraies, elles échappent à l’empire de la discussion et de l’opinion : les faits sont là, il faut bien les admettre. On peut ne pas trouver agréable la découverte de Darwin selon laquelle l’homme n’est pas le fils d’Adam et Eve, mais on devra reconnaître la vérité scientifique de la théorie de l’évolution. Les vérités qui s’imposent sont donc bien au-delà du fait qu’on y consente ou non, qu’on les discute ou non, qu’on ait à leur égard telle ou telle opinion : elle ne sont pas vraies parce que beaucoup de personnes les considèrent comme vraies mais elles sont vraies parce qu’elles sont démontrées et argumentées (par une méthode scientifique par exemple). Il n’est donc pas nécessaire d’essayer d’utiliser la méthode de la persuasion à leur égard (persuader veut dire : essayer d’influencer le jugement d’autrui par tous les moyens possibles) parce la vérité est d’une nature coercitive dans le sens où elle a sa propre force et possède la capacité de s’imposer d’elle-même ou d’exister par elle-même.
Par 2. C’est pourquoi, l’auteur souligne que la vérité a parfois un caractère despotique : elle est donc détestée par les tyrans car elle représente une force qu’ils ne peuvent entièrement maîtriser (ils peuvent toujours essayer de la censurer et la dissimuler, mais la vérité possède son propre pouvoir et fait concurrence au leur). Quant aux démocraties, qui sont des systèmes fondés sur le consentement des populations, elles ne respectent pas toujours la vérité et leurs gouvernements entretiennent avec elle une relation plus ou moins « précaire », comme le dit l’auteur. Mais dans tous les cas, la réalité des faits est là et existe indépendamment du fait qu’on y consente ou non. Lorsque les faits nous dérangent nous pouvons, certes, refuser de les voir ou les nier, mais ils ont cette particularité d’être « têtus » et tenaces. Toutefois, nuance de taille, l’auteur souligne au final que seul le mensonge a le pouvoir d’ébranler la vérité, ce qui vient quelque peu contrebalancer son propos.
opinion : point de vue personnel (vrai ou faux) qui n’est pas démontré.
coercition (coercitive) : imposer quelque chose par la force ou la domination.
persuader : vouloir imposer une idée par des moyens qui ne sont pas fondés en raison.
dissuader : faire renoncer quelqu’un à son intention de faire quelque chose, l’en dissuader.
despotique : qui impose une domination (on parle d’un pouvoir despotique à propos d’un dictateur)
tyran : la tyrannie est synonyme de despotisme
abhorrer : détester
importune : qui arrive de façon inappropriée (qui occasionne une gêne)
transiger : s’arranger- essayer de s’adapter avec une chose