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L'éthique protestante et esprit du capitalisme selon Max Weber

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Publié le 17/09/2012 à 17:46 dans Compléments de réflexion

Max Weber dans l’Ethique protestante et l'esprit du capitalisme fait apparaître une analogie entre la mentalité capitaliste et la morale protestante. Il cherche alors à établir le lien qu'il y a entre l’apparition du protestantisme et la naissance du capitalisme en Occident, au sens ou le premier aurait favorisé le développement du second. Il est à noter que le capitalisme est un système économique qui exige des travailleurs dévouées et consciencieux, qui savent se donner à la tâche, bref c’est un système dans lequel le travail est devenu une valeur. Or traditionnellement, dans la culture classique, le travail n’est pas « un devoir » et l’individu pensait qu’il devait travailler ce qui était simplement nécessaire. En somme, si l’on veut expliquer la naissance du capitalisme, il faut donc se demander comment le travail est devenu une valeur, et comment une éducation au travail fut historiquement possible.

            Selon Max Weber, c’est l’éthique protestante qui a fait sortir les hommes de l’indolence pour leur donner le goût de la performance. Il fallait en effet des motifs idéologiques puissants (la recherche du salut) pour contraindre l’homme à se dévouer au travail. Il est vrai que la recherche de la richesse matérielle fut toujours plus ou moins globalement condamnée par l’Eglise. Le protestantisme au contraire invite le fidèle à se consacrer à son métier, à sa vie professionnelle comme s’il s’agissait d’une « vocation », d’une mission que Dieu assigne à chacun et ainsi, tout manquement à cette éthique du devoir, à cette « profession-vocation » pouvait être interprétée comme une offense faite à Dieu. Ce lien entre capitalisme et religion remonte donc à la pensée de Luther qui, en effet, a employé dans sa traduction de la Bible, le terme Beruf (qui signifiait au départ la vocation religieuse) pour désigner l’activité particulière que chacun peut exercer ici-bas. Pour plaire à Dieu, il n’est donc plus nécessaire de se retirer hors du monde comme le propose les ordres monastiques, mais on doit accomplir ses obligations dans le monde. Nous serions donc passés de l’ascétisme religieux à un ordre économique nouveau (le capitalisme), véritable « cage d’acier » pour les individus du monde moderne :

« Le puritain voulait être un homme de profession ; nous sommes contraints de l’être. En effet, en passant des cellules monacales dans la vie professionnelle et en commençant à dominer la moralité intramondaine, l’ascétisme a contribué à édifier le puissant cosmos de l’ordre économique moderne qui, lié aux conditions techniques et économiques de la production mécanique et machiniste, détermine aujourd’hui, avec une force contraignante irrésistible, le style de vie de tous les individus qui naissent au sein de cette machinerie - et pas seulement de ceux qui gagnent leur vie en exerçant directement une activité économique. Peut-être le déterminera-t-il jusqu’à ce que le dernier quintal de carburant fossile soit consumé. Aux yeux de Baxter (je souligne : penseur protestant) le souci des biens extérieurs ne devait peser sur les épaules de ses saints que comme « un manteau léger que l’on pourrait rejeter à tout instant ». Mais la fatalité a fait que ce manteau est devenu une cage d’acier. Tandis que l’ascèse entreprenait de transformer le monde et d’y être agissante, les biens extérieurs de ce monde acquéraient sur les hommes une puissance croissante et finalement inexorable, comme jamais auparavant dans l’histoire. Aujourd’hui, l’esprit de cette ascèse s’est échappé de cette cage - définitivement, qui le sait ? En tout cas, depuis qu’il repose sur une base mécanique, le capitalisme vainqueur n’a plus besoin de cet étai. […] Personne ne sait encore qui, à l’avenir, logera dans cette cage ; et si, au terme de ce prodigieux développement, nous verrons surgir des prophètes entièrement nouveaux ou une puissante renaissance de pensées et d’idéaux anciens, voire Ŕ si rien de tout cela ne se produit - une pétrification « chinoise » ( je souligne : Weber évoque ici l’inertie d’une société chinoise autrefois bloquée par la bureaucratie), parée d’une sorte de prétention crispée. Dans ce cas, à coup sûr, pour les « derniers hommes » (je souligne : formule méprisante de Nietzsche à propos des hommes modernes qui recherchent le bonheur par la consommation) de ce développement culturel, la formule qui suit pourrait se tourner en vérité : « Spécialistes sans esprit, jouisseurs sans coeur : ce néant s’imagine s’être élevé à un degré de l’humanité encore jamais atteint. »[1]

On voit donc que le protestantisme va donner un sens moral au travail et donner au capitalisme l’homme besogneux, sobre et fiable dont il a besoin, l’homme soumis à l’ascèse du travail. Cependant chez Luther, cette ascèse reste encore modérée car elle n’invite pas les hommes à une franche réussite professionnelle : elle invite simplement chacun à rester dans sa profession, là où Dieu l’a placé. C’est en revanche avec le protestantisme ascétique post-luthérien (le calvinisme notamment) que l’implication dans le travail pourra jouer le rôle de confirmation de la foi et de l’état de grâce et prendra un visage plus radical. La théorie calviniste est en effet basée sur la théorie de la prédestination selon laquelle chaque homme est, dès sa naissance, élu ou damné. Le croyant pourra alors interpréter sa réussite sociale comme étant le signe d’une rigueur morale, d’une vertu supérieure (d’une forme de discipline et d’ascèse plus forte) et donc comme étant le signe d'une certaine bienveillance divine qui laisse supposer une possible prédestination. L’homme ignorant son éventuelle élection ou damnation, pourra chercher à calmer son angoisse en pensant déceler dans sa rigueur morale, son travail et sa réussite économique (ce qui implique un mode de vie ascétique), les signes de son élection. Dès lors, selon Max Weber, là où le catholicisme nous invitait au détachement des biens matériels, le protestantisme favorisera l’intégration du croyant à l’activité économique, ce qui peut expliquer le développement de l’esprit capitaliste. Le protestantisme aurait donc diffusé massivement une morale ascétique du travail et transposé dans le monde, au-delà des monastères, la sévère discipline à laquelle les moines se livraient autrefois, en se coupant du monde. Le protestantisme aurait donc exigé de tous les hommes qu’ils vivent comme des moines en inventant l’ascétisme dans le monde, un ascétisme sécularisé.

[1]  Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, trad. J-P Grossein, Gallimard, Paris, 2003, p. 251-252.

Article écrit par Éric Chevet