Accueil > Articles > Texte de David Hume, extrait de l'Enquête sur l'entendement humain. (copie de Simon Robert TS-2010)
Publié le 14/03/2010 à 22:23 dans Bonnes copies d'élèves
« Ce qu’on n’a jamais vu, ce dont on n’a jamais entendu parler, on peut pourtant le concevoir; et il n’y a rien au-dessus du pouvoir de la pensée, sauf ce qui implique une absolue contradiction. Mais, bien que notre pensée semble posséder cette liberté, nous trouverons, à l’examiner de plus près, qu’elle est réellement resserrée en de très étroites limites et que tout ce pouvoir créateur de l’esprit ne monte à rien de plus qu’à la faculté de composer, de transposer, d’accroître ou de diminuer les matériaux que nous apportent les sens et l’expérience. Quand nous pensons à une montagne d’or, nous joignons seulement deux idées compatibles, or et montagne, que nous connaissions auparavant. Nous pouvons concevoir un cheval vertueux; car le sentiment que nous avons de nous-mêmes nous permet de concevoir la vertu; et nous pouvons unir celle-ci à la figure et à la forme d’un cheval, animal qui nous est familier. Bref, tous les matériaux de la pensée sont tirés de nos sens, externes ou internes ; c’est seulement leur mélange et leur composition qui dépendent de l’esprit et de la volonté. Ou, pour m’exprimer en langage philosophique, toutes nos idées ou perceptions plus faibles sont des copies de nos impressions, ou perceptions plus vives. […] Même les idées qui, à première vue, semblent les plus éloignées de cette origine, on voit, à les examiner de plus près, qu’elles en dérivent. L’idée de Dieu, en tant qu’elle signifie un être infiniment intelligent, sage et bon, naît de la réflexion sur les opérations de notre propre esprit quand nous augmentons sans limites ces qualités de bonté et de sagesse ».
David Hume, Enquête sur l’entendement humain (1748), section II, trad. A. Leroy, Éd. Aubier-Montaigne, 1969, pp. 54-56.
Copie de Simon Robert TS 2010 (bac blanc en 4 heures)
Dans cet extrait de l’Enquête sur l’entendement humain, David Hume, philosophe anglais du 18è siècle, nous amène à réfléchir la question de l’origine de nos connaissances et du rapport de nos représentations mentales avec l’expérience sensible que nous avons du monde. La question qui en résulte est de savoir si nous pouvons avoir des connaissances sans expérience, indépendamment des informations que nous donnent nos sens. Pour Hume, la connaissance provient toujours d’une composition, faite par notre pensée, de différentes perceptions. L’auteur propose donc pour répondre à ce problème une thèse empiriste selon laquelle toute connaissance provient de l’expérience. Toute idée, même celles qui sont abstraites ou imaginaires, proviennent tout de même de l’expérience, c’est-à-dire de quelque chose qui nous est donné par l’intermédiaire de nos sensations. Pour appuyer sa thèse, l’auteur évoque différentes exemples de ces représentations et montre pour chacune qu’elle proviennent toujours d’une combinaison de perceptions. L’auteur argumente donc en disant que ce qui nous semble être simplement le fruit de notre pensée (même abstraite ou irréel) est toujours en réalité le produit dérivée d’une expérience. Nous expliquerons donc dans un premier temps le point de vue empiriste de l’auteur à propos des origines des connaissances humaines. Ensuite, nous étudierons la question de savoir si toute connaissance est nécessairement issue de l’expérience, puis celle de la question de la véracité des représentations de la pensée.
Tout d’abord David Hume évoque dans cet extrait la capacité de l’esprit de concevoir des choses dont pourtant nous n’avons pas fait l’expérience. En effet, l’esprit semble pouvoir se représenter divers éléments sans pour autant en avoir fait l’expérience par les sens ou le récit, et ce, en jouissant d’une liberté de conception importante. Cependant, l’auteur avance l’idée que cette liberté est limitée par ce que l’expérience nous a apporté du fait que l’esprit ne fait que « composer, transposer, accroître ou diminuer » (ligne 5) ce qui nous a été donné par nos sens. Par cela Hume, veut donc faire entendre que toute connaissance de l’esprit trouverait son origine dans les sens et l’expérience. L’esprit n’aurait aucun moyen a priori, c’est-à-dire avant toute expérience possible, de recevoir un contenu apte à construire un savoir et il n’aurait par conséquent comme seule possibilité que de réutiliser des « matériaux que nous apportent les sens et l’expérience » (ligne 6) pour former par composition une représentation d’un élément nouveau. Cette idée ramènerait donc l’esprit à n’être que l’outil de nos sens, un pur élément empirique ou limité à ce qui est donné empiriquement.
L’auteur évoque également dans cet extrait deux exemples de ces représentations : « une montagne d’or » (ligne 7) et « un cheval vertueux » (ligne 9). Afin d’appuyer son idée de combinaisons effectuées par l’esprit à partir de l’expérience. Ces représentations sont bien issues de l’expérience puisque la vertu mise à part, il s’agit d’éléments concrets. La représentation se fait d’autant plus facilement que ces idées sont compatibles. Cependant, à propos de la vertu, ce n’est plus les sens qui la conçoivent mais « le sentiment que nous avons de nous-mêmes (ligne 9) qui le permet. La conception n’est donc plus ici une expérience qui fait appel aux sens mais elle est issue d’un sentiment. L’expérience ne se résumerait donc pas à nos impressions sensibles mais inclurait donc aussi l’ordre de sentiments internes à l’individu. L’esprit n’aurait alors pour seule possibilité que faire des combinaisons à partir de différentes perceptions ou émotions sensibles. La pensée pour Hume ne serait alors que limitée au champ de l’expérience sensible.
Cependant, comment effectuer cette combinaison si la représentation se reporte à une question métaphysique ? En effet, le propre de la métaphysique est justement de ne se rapporter à aucune expérience sensible. L’auteur évoque alors l’idée selon laquelle la pensée ne fait plus ici une combinaison d’expériences mais tire sa conception de la dérive de perceptions vécues. David Hume prend alors en considération l’idée de Dieu que l’on se représente analogiquement comme une sorte d’extension de notre esprit de manière infinie. Cependant cette représentation se limiterait seulement à une représentation particulière de Dieu et rapproche l’idée d’une expérience d’une manière assez éloignée puisque il faut encore avoir fait les expériences que l’auteur décrit. Par cela David Hume étend donc sa conception empirique de l’esprit à toutes les représentations de la pensée en montrant que celle-ci servirait à remodeler en combinant ou en dérivant ce que nous donnent nos perceptions.
Dans cet extrait David Hume, défend donc la thèse empiriste de l’origine de la connaissance selon laquelle nos idées proviennent toujours de l’expérience. Cependant, on peut-être amené à réfléchir au fait que toute connaissance a l’expérience pour origine. En effet, on peut également penser que des idées pures existent avant toute expérience possible, comme le veut le point de vue rationaliste. Comme le pense Descartes, l’âme dans son état pur, possède de manière innée, des idées, ou bien comme le pense Platon, l’âme, avant son incarnation, a accès à toutes les connaissances qu’elle perd à ce moment là et qu’elle doit ensuite retrouver (réminiscence). Par ailleurs, il est possible de penser l’expérience non pas toujours forcément comme le fondement de notre connaissance mais comme ce qui vient faire obstacle à cette connaissance ou comme ce qui n’y suffit pas. Comme l’explique Kant dans la Critique de la Raison pure, on peut considérer l’expérience à l’état brut, comme difforme : il reste alors à mettre en ordre par l’esprit à l’aide de ce qu’il appelle « les catégories de l’entendement ». La connaissance ne provient alors plus seulement de l’expérience mais elle trouve son origine dans la représentation que l’esprit s’en fait : selon Kant l’expérience est la condition nécessaire à la connaissance (son commencement), ce qui fait que hors expérience, il n’y a pas de connaissance, mais elle pas la condition suffisante, il faut encore que l’esprit donne sens, par ses propres structures mentales, à ce qui est perçu. Cependant, cela amène à réfléchir sur la véracité de ces représentations mentales. En effet, si l’on considère à la manière de Hume que celles-ci ne sont que le résultat d’une combinaison de nos sens, notamment internes, on peut être amené à se représenter quelque chose qui semble vrai pour nous mais qui est faux en réalité. En prenant l’exemple d’un objet ou d’un être vivant que l’on s’est fait décrire oralement, on peut se le représenter mentalement mais cette représentation est-elle pour autant vraie ? De même en reprenant les thèses de Kant, sur les « catégories » de l’esprit, on peut être amené à penser que selon les individus, les structures mentales peuvent différer et donc aussi leurs représentations. De même, les représentations à propos de questions métaphysiques semblent difficiles à être crédibles si elles sont construites à la manière que décrit David Hume, en dépit du fait qu’il montre ici de manière explicite un exemple de celle-ci avec la représentation de Dieu, mais il semblerait moins aisé de le faire avec l’idée de la fin de l’univers par exemple. L’expérience étant à exclure pour ces questions, il semble difficile de pouvoir leur accorder de la véracité. La métaphysique ne peut donc plus que produire des croyances si l’on retient la thèse de Kant ou de Hume.
Dans cet extrait, David Hume ramène donc toute connaissance humaine à une seule et unique origine : l’expérience. Il explique ceci en exposant le fait que nos représentations en apparence les moins dérivées de nos sensations (Dieu) sont le résultat en fait de la combinaison et de dérivation d’expériences sensibles. Même nos représentations portant sur des objets métaphysiques n’échappent pas à cela. Pourtant, ce point de vue empiriste n’est pas le seul : la théorie rationaliste doit également être prise en considération. En outre même il semble parfois impromptu d’accorder de la véracité à certaines de ces représentations dérivées de l’expérience. On peut donc se demander si l’expérience est le fondement ou un obstacle à la connaissance véritable.