Accueil > Articles > PEUT ON SE FAIRE JUSTICE SOI-MEME ? Bonne copie de Adèle L (tg2 en 4h sur table).
Publié le 07/12/2023 à 00:00 dans Bonnes copies d'élèves
« La peur n’est pas propice à la justice » disait Robert Badinter, avocat et ministre de la justice française ayant fait voter l’abolition de la peine de mort en France en septembre 1981, dans son ouvrage s’intitulant L’abolition. Cette phrase interroge aussi l’hypothèse qu’on puisse ou non se faire justice soi-même, c’est-à-dire la légitimité de cette action. En effet, se faire justice soi-même implique tout d’abord la différenciation de la justice au sens de l’institution judiciaire, qui applique la loi, et au sens d’une valeur idéale qui peut nous intéresser ici. La définition de ce qu’est la justice dépend alors du sens qu’on lui donne et qui peut changer selon les cultures, les époques et les géographiques. On pourrait alors vouloir se venger, si l’on décidait d’agir sans avoir recours à l’institution judiciaire et à ses juges supposés impartiaux et de désobéir à la loi au nom de l’idée que l’on se fait soi-même de ce qui est juste. C’est pourquoi nous pouvons nous demander s’il est parfois légitime, au nom d’un idéal qui nous est propre, de prendre une décision personnelle à l’égard d’un problème normalement confié à l’institution judiciaire afin de rétablir soi-même la justice au risque de transgresser la loi.
Pour cela, nous verrons dans un premier temps qu’il peut sembler être juste de se faire justice soi-même au nom du droit naturel puis que les risques de l’auto-justice sont très importants, et enfin, que les raisons qui nous conduisent à nous faire justice nous-mêmes sont en général très subjectives et qu’elle dépendent donc de chacun.
Tout d’abord, il semble légitime de vouloir « se faire justice soi-même » au nom de ce qui serait pour nous la véritable justice. Il faut en effet distinguer le droit naturel et le droit positif : le premier se veut universel l’autre ne correspond qu’aux lois qui sont en vigueur dans une société donnée. Nous pourrions donc vouloir agir par justice au nom du droit naturel même si cela va à l’encontre du droit positif.
Droit naturel et droit positif sont effectivement eux notions bien distinctes. Le droit positif renvoie à la justice légale déterminée par des codes, tels que le code civil qui affirme par exemple (article 2) que la loi ne dispose que pour l’avenir. Ce droit est cependant culturel et changeant, comme nous l’explique Hans Kelsen théoricien du positivisme juridique, mouvement qui défend l’idée selon laquelle il n’existe que du droit positif. Dans ce cadre, une loi n’est juste que si elle est conforme à la loi et notamment à la constitution. En ce sens, il y aurait autant de justice que de constitutions. En revanche, le droit naturel, lui se prétend universel et repose sur l’idée qu’il existerait une justice supérieure, le juste en soi, dont chaque être humain pourrait se réclamer. Pour le philosophe Alain, il est « ce doute sur le droit qui sauve le droit » puisque son existence pourrait nous permettre de faire la critique du droit positif ainsi que l’illustre le mythe d’Antigone, jeune fille qui défia l’autorité du roi Créon pour pouvoir enterrer son frère Polynice afin d’obtenir justice. Elle prétend donc faire ce qui est juste au nom de ses valeurs en dépit de l’autorité du roi et du droit positif auquel elle est supposée obéir.
Un droit naturel se prétend universel comme l’illustre La Déclaration universelle des droits de l’homme dont l’article 1er affirme que « tous les hommes naissent libres et égaux en droits ». Mais ce droit est-il vraiment universel ? N’est-il pas malgré les valeurs qu’il défend, une invention de la culture occidentale et le reflet d’une certaine culture. Pour Pascal, philosophe du 17ème la « vraie justice » est ignorée des hommes qui ne font que suivre leur croyances et leurs coutumes, comme il le dit dans les Pensées : « Plaisante justice que borne une rivière, vérité en-deça des Pyrénées, erreur au-delà » ; En effet, même si les droits de l’homme paraissent être pour nous occidentaux fondamentaux, d’autres cultures ne partagent pas cette philosophie et pratique encore la torture ou les mariages forcées pour tant interdit par nos lois. Il en va de même pour le statut des femmes dans le monde : en Occident, les femmes sont les égales des hommes ce qui n’est pas du tout le cas dans un pays comme l’Afghanistan par exemple puisqu’elle n’ont pas accès à l’éducation notamment.
Ainsi l’hypothèse d’un « juste en soi », l’hypothèse d’un droit naturel, pourrait rendre légitime un acte d’autojustice, un acte que nous accomplirions nous-mêmes en prétendant qu’il est juste même s’il n’est pas forcément légal : quand la loi n’est pas satisfaisante et ne prévoit pas de réponse à un problème auquel nous sommes confrontés, n’est-il pas nécessaire d’agir nous-même par justice et de rendre les choses plus justes ?
Si, en effet, au nom du droit naturel, il semble parfois légitime de faire quelque chose d’illégal en pensant que nous accomplissons la justice, cela peut-il être le cas lorsque nous pratiquons un acte de vengeance ? Autrement dit, une vengeance peut-elle être juste ?
Il existe un risque dans ce cas, celui de confondre ce qui est juste en soi avec ce qui serait le juste pour moi mais qui ne ferait en réalité que refléter la logique de mon intérêt. On pourrait alors supposer que la vengeance n’est pas la justice ce qui nous interroge : un acte d’autojustice peut-il prétendre être juste ?
Prenons le temps de différencier les termes : la vengeance repose sur les émotions et tend à vouloir punir celui qui nous a fait du mal en regardant le passé. La justice, au sens de l’institution, est basée sur une procédure et une démarche rationnelle : elle cherche à être objective. Et tend à vouloir punir en vue de l’avenir. Comme nous l’explique Platon dans Protagoras, il faut faire usage de sa raison dans les peines qu’on inflige pour ne pas tomber dans la vengeance « brutale et déraisonnable ». Contrairement à Kant qui dans sa doctrine du droit (extrait de la Métaphysique des moeurs) se limite à une conception rétributive de la sanction (il défend la peine de mort soi la loi du talion : « si un criminel a commis un meurtre, il doit être tué »). Platon lui affirme qu’on ne châtie pas seulement à cause de la faute passée mais aussi en vue de la faute à venir ». Ainsi le risque d’une vengeance est de punir pour punir (« œil pour œil dent pour dent ») sans autre considération en ne pensant pas à la réinsertion du coupable et donc de confondre le juste en soi avec le juste pour soi.
Mais alors une vengeance peut-elle être juste ? Pour Hegel, comme il nous l’explique dans les Principes de la philosophie du droit, cela n’est pas possible puisque la vengeance engendre le désir de revanche et encore une autre vengeance ( comme c’est le cas dans les vendettas) et c’est alors un cercle vicieux qui s’installe au risque de déstabiliser l’ordre social et de propager la violence. Certains actes de vengeances peuvent nous sembler « compréhensibles » : ce fut le cas de Marianne Bachmeier qui en plein tribunal assassinat le meurtrier de sa fille ; Ce geste désespéré d’une mère en deuil suscita de fortes réactions dans l’opinion publique allemande si bien que la condamnation de Marianne pour meurtre fut transformée en homicide involontaire.
Ainsi, en légitimant l’autojustice on favorise le risque de la vengeance et donc celui de la violence. Refuser la justice privée permettrait donc d’éviter que des actes de vengeances n’aient lieu.
On peut donc agir par justice même si parfois cela est illégal en supposant que nos actions sont conformes à une théorie du droit naturel mais cela est aussi dangereux car l’on pourrait basculer aussi dans le cycle sans fin de la vengeance. Il faut donc distinguer l’acte de se faire justice soi-même et suivre une procédure institutionnelle qui fonctionne selon des normes codifiées (le tribunal, le travail des juges).
Se faire justice soi-même en alors une action qui peut varier selon les géographies et les habitudes, les traditions et les contextes. Par exemple, dans une situation géopolitique compliquée telle que l’occupation d’un pays par un autre, le peuple se sentant opprimé peut décider de se venger et de se faire justice lui-même pour rétablir la paix et agir par justice : ce fut le cas de l’intifada soit la guerre des pierres lors du conflit israelo-palestinien qui dure encore aujourd’hui. On peut également penser aux actions du front de libération national pendant la guerre d’Algérie qui agissait pour plus de justice pour le peuple algérien au nom d’un idéal. Pour certains il peut alors être question de terrorisme, pour d’autres de justice : la notion de justice n’est-elle pas en fait relative? Comment savoir lorsqu’on prétend se faire justice soi-même si cela est vraiment juste ?
Cette relativité de l’idée que l’on se fait du juste s’illustre à travers des questions comme la peine de mort qui traduit la complexité de ce qu’est ou non la justice. La peine de mort n’est-elle qu’une forme de vengeance qui se contente de tuer un homme car il a tué ? Ou est-ce quelque chose qui pourrait prétendre être une forme de justice qui aurait pour fonction de rétablir l’ordre et de sanctionner les coupables ? Pour Robert Badinter dans L’abolition il ne s’agit que d’une loterie sanguinaire. La difficulté ici est que ce qui semble juste pour certains ne l’est pas pour d’autres et donc la question de savoir si l’on peut se faire justice soi-même va évidemment dépendre de nos critères du juste et de nos valeurs.
Dans les faits, il est donc possible de se faire justice soi-même (la vengeance). Il sera donc possible de ne pas respecter la loi au nom d’un idéal. Seulement, ce qui à nos yeux est juste ne le sera pas forcément pour les autres et l’institution judiciaire a été créée justement pour cela afin d’éviter les troubles dans la société et afin d’éviter des actes d’autojustice. Il semble dès lors préférable de faire appel à un tierce personne pour juger, un juge impartial et compétent, pour rendre un jugement sur un problème juridique donné. De plus, si le droit et les lois en place ne conviennent pas, il reste toujours possible d’utiliser dans une démocratie la désobéissance civile et ainsi trouver une sorte de compromis en évitant l’autojustice avec tous les risques que cela implique.