Accueil > Articles > LE DESIR EST-IL UN OBSTACLE AU BONHEUR? (Par Owen Chartier-TS- en 3 heures sur table).

LE DESIR EST-IL UN OBSTACLE AU BONHEUR? (Par Owen Chartier-TS- en 3 heures sur table).

Publié le 01/03/2011 à 16:36 dans Bonnes copies d'élèves

 

          Avant d’exposer le problème, il nous faut tout d’abord ériger une conception de ce que ce que sont le bonheur et le désir. Le premier peut être envisagé comme un état de plénitude, où le corps et l’âme seraient en harmonie avec le monde et ne seraient pas troublés. On pourrait parler alors d’ "ataraxie". Par conséquent, cet état s’inscrit dans une dimension temporelle et suppose une certaine durée. Cela ne peut être seulement l’ensemble des moments instantanés où l’on ressent de la joie ou du plaisir, mais un état durable. A l’inverse du bonheur, le désir semble plus facilement définissable. Le désir est le propre de l’homme. Il est dans sa nature profonde de désirer. Le désir serait donc lié à une envie, l’attente d’une chose imaginée par l’homme, c’est-à-dire un souhait d’existence qui peut porter sur une réalité matérielle ou immatériel (le désir amoureux). La question ici posée est donc de savoir si le désir est un obstacle au bonheur. Certains philosophes, en effet, s’accordent à dire que le désir doit être éradiqué, supprimé ou réduit. (ascétisme) Ils adoptent alors une vision négative du du désir qui consiste à dire que le désir est plutôt source de souffrance, de malheur. D’autres bien moins pessimistes au regard de la vie pensent que le bonheur est un état idéal et qu’il faut amplifier ses désirs pour être heureux. (hédonisme) En observant ces deux points de vue, on se rend bien compte qu’il faut distinguer certains types de désirs : on montrera donc dans un premier temps que certains désirs sont la source de nos malheurs mais il faudra tout de même se demander si ce n’est pas en acceptant de désirer qu’on peut être heureux.

 

         Une des visions souvent étudiée du désir est donc celle qui décrit le désir comme un processus nous conduisant inévitablement au malheur. En un certain sens cette thèse ne paraît pas dénuée de vérité. En effet, comment ferions nous pour vivre en société, en collectivité si chacun pensait tout d’abord à ses désirs profonds et son intérêt personnel au lieu de s’intéresser à la sphère collective? On se rend bine compte ici que c’est impossible : l’homme possède très souvent des désirs saugrenus qui peuvent parfois nuire aux autres. La conception que le Marquis de Sade se fait du bonheur semble alors incompatible avec la vie sociale. On ne peut en effet satisfaire tous ses désirs qui sont parfois cruels et démesurés : si l’on adoptait, comme  il le prône une certains anarchie du plaisir, en narguant les lois, ce serait à proprement parler la loi de la jungle. Chacun agirait pour sa propre personne et aurait peur de mourir ou d’être victime des désirs immodérés des autres. L’amour et l’amitié auraient-ils encore une sens dans un tel monde ? Ainsi l’on ne pourrait qualifier cette situation d’être victime des désirs immodérés des autres. L’amour et l’amitié auraient-ils encore une sens dans un tel monde ? Ainsi l’on ne pourrait qualifier cette situation d’état de bonheur puisque nous ne serions pas dans un état de tranquillité, de plénitude, de sérénité. Il faut donc, comme le pense Freud, réprimer les désirs trop fous des hommes de manière à faire perdurer la civilisation et de communauté, plutôt que les pulsions (Thèse développée dans Malaise dans la civilisation). L’homme n’est d’ailleurs pas vraiment fait pour le bonheur puisque la société le condamne à réprimer inlassablement ses pulsions. C’est d’ailleurs la thèse qu’avance Descartes dans la Lettre à Elisabeth, dans laquelle il expose le fait que l’homme ne peut pas se contenter de satisfaire ses propres désirs : il doit réfléchir à l’échelle de la société, sans quoi le bonheur serait impossible. En effet, le bonheur est une idée également collective, politique même, et le groupe se doit donc d’agir de façon à permettre le bonheur des particuliers (ou tout au moins de leur garantir des conditions d’existence décentes qui rendent possible ce bonheur).  C’est pour cela que la politique existe et non pas, comme le souligne Hölderlin, parce que « l’Etat est devenu un enfer parce qu’on a voulu en faire un paradis », non pas parce que l’Etat doit « fabriquer » du bonheur (le bonheur reste en effet une réalité subjective) mais au sens où l’Etat se doit d’améliorer les conditions de vie, les conditions sociales qui le permettent. Avec cette idée, il faut donc prohiber les plaisirs qui font obstacle à l’harmonie sociale. La « morale » (au sens d’une conformité à des valeurs collectives de base) devient donc ici le principe de l’homme qui se doit d’être un minimum consciencieux.

 

            La seconde idée relative au fait que l’on puisse vouloir limite le désir pour pouvoir être heureux n’est autre que celle exposée par le philosophe Schopenhauer  pour qui « des malheurs évités le bonheur se compose ». En clair, le bonheur ne réside pas dans l’accomplissement de nos désirs mais bien plutôt dans la tentative d’éviter le plus de malheurs possibles. Ce n’est que cela que l’homme pourra au fond, réussir et mener une existence pas trop malheureuse.  Cette définition du bonheur oblige donc l’homme à faire une croix sur les désirs, sur les plaisirs car ils sont très souvent source de malheur. Prenons l’exemple du désir amoureux évoqué chez Marcel Proust dans son œuvre A la recherche du temps perdu (Un amour de Swann). Swann, au départ heureuse d’aimer se rend compte de la trahison de sa promise et en vient à être malheureux. L’idée est donc d’éviter le désir car celui-ci conduit soi au manque et donc à la souffrance lorsqu’il est insatisfait, soit à l’ennui lorsque celui-ci a étét réalisé. L’homme serait donc condamné, comme nous le dit Schopenhauer  à « osciller entre la souffrance et l’ennui ». On ne peut en effet négliger l’idée que la vie est parsemée de souffrances. Cette vision négative, mais en quelque sorte réaliste, nous oblige donc à couper court à nos désirs et ainsi éviter le malheur, comme le pensent les stoïciens, ou encore les bouddhistes. On pense donc ici que le bonheur n’est pas un éat idéal mais seulement il se limite au fait d’éviter le plus de malheurs possible en supprimant nos désirs comme l’avance Socrate dans le Gorgias écrit par Platon.

 

            Dans un premier temps le désir semble donc une chose que l’on doit réprimer de manière rapide et efficace afin de pouvoir vivre en société et dans la tranquillité (ataraxie). Il peut conduire souvent au malheur des hommes en les poussant vers la souffrance ou l’ennui. Cependant, tous nos désirs doivent-ils vraiment être éradiqués ? Nous allons voir dans un deuxième temps qu’il faut peut-être s’autoriser certains désirs et que ceux-ci sont sans doute indispensable au bonheur.

 

En effet, dans cette première partie nous avons en fait  surtout parlé des désirs insatiables de l’homme, des désirs trop grands pour être comblés. Ce pendant, certains désirs peuvent l’être et c’est pourquoi Epicure en vient à opérer dans sa Lettre à Ménécée une classification des désirs. Il distingue donc les désirs cités auparavant, et qui sont des désirs non nécessaires et non naturels, les passions sociales (désir d’argent, désir de gloire par exemple), et d’autre part les désirs simples, naturels et nécessaires (dormir, boire, manger, avoir un confort minimal) et les désirs naturels non nécessaires. On ne peut alors réprimer ce type de désirs qui ont leur fonction : les philosophes qui adoptent une vision trop négative du désir se trouvent alors dans l’erreur. En effet, l’homme sans ses désirs ne pourrait tout simplement pas vivre et prétendre au bonheur. Les désirs qualifiés par Epicure de désirs simples peuvent donc être comblés tant qu’ils n’engendrent pas de trouble ou de manque. On reste au fond ici dans la simplicité et si l’on ne s’attarde pas dans des désirs trop complexes, on peut être heureux et atteindre l’ataraxie (l’absence de trouble). Après tout, n’est-ce pas le rêve de nombreux personnes ? Sachant que l’accomplissement de nombreux désirs sera impossible, il faut donc se retourner vers des envies non sophistiquées. Cette vie modeste en matière de bonheur est d’ailleurs évoquée par des penseurs du siècle des Lumières comme Rousseau et Montesquieu auteurs respectifs du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes et des Lettres Persanes : les hommes qui vivent simplement sont davantage en harmonie avec la communauté et avec eux-mêmes. Le but serait alors d’être heureux non pas en supprimant le désir mais en les modérant, en les minimisant, et c’est ce que nous allons voir dans une seconde partie.

 

             En effet, la responsabilité de l’homme est donc de déterminer au moyen de la philosophie ce qui peut le rendre heureux tout en entrevoyant la possibilité de réaliser ces désirs. Si l’on rêve par exemple de devenir un géant de l’économie mondiale, un des hommes les plus riches du monde, on se rend bien compte qu’on ne pourra que très difficilement y arriver. Le but de chacun est donc de procéder à une identification d’éléments qui permettent le bonheur, ce qui nécessite donc de faire appel à notre conscience. Ces éléments ne sont pas, comme le pense Hegel, lorsqu’il souligne que notre conscience nous arrache à l’innocence, un obstacle au bonheur en tant que quête perpétuelle d’un ailleurs ou d’un sens. Certes, lorsqu’on grandit, on devient plus réaliste car plus isntruit et l’on se rend compte en effet que la vie n’est pas faite que de joie, que le monde n’est pas un monde idéal comme le souligne Voltaire dans Candide. Le mal existe bel et bien et par conséquent notre conscience nous est indispensable pour le distinguer afin de prétendre au bonheur. Comment pourrions nous penser que l’innocence conduit à la vie heureuse ? Car en effet en étant insouciant, on ne se préoccupe pas des autres et il ne nous est possible de faire du mal aux autres sans pour autant le vouloir. Ainsi, la ou les personnes en seront malheureuses et inévitablement l’innocent aussi. La conscience est donc indispensable pour le bonheur : c’est grâce à notre lucidité que nous pourrons choisir nos amis et déterminer les personnes qui nous correspondent et avec lesquelles nous voulons vivre. C’est comme cela que les amitiés les plus forte (Camus et Sartre) ont pu se créer. Et le rôle de la conscience se retrouve ainsi dans l’amour qui, contrairement à ce que pensent certains philosophes ou écrivains précédemment cités, n’est pas un obstacle au bonheur. En effet ce ne peut être qu’un malentendu comme le pense Proust, ou même une éternelle déception, comme le pense Flaubert. L’amour c’est choisir en toute conscience la personne en toute conscience qui pourra nous rendre heureux et réciproquement, pour finalement arriver à la cristallisation exposée par Stendhal, qui procède à la métaphore du rameau cristallisé par le sel. L’amour n’est donc pas toujours éphémère et constitué de souffrance ou de malheur. Le désir amoureux est aussi source des plus grands bonheurs. Il faut simplement grâce à la conscience, la réflexion, déterminer quelle est la bonne personne, ce qui semble remettre en question l’idée même du « coup de foudre ».

 

         Enfin, la dernière idée à apporter, qui contredit cette vision négative du bonheur est celle inventée par Rousseau dans La nouvelle Héloïse. Rousseau nous y explique en effet que « le bonheur est l’attente du bonheur ». Cette idée étrange est néanmoins justifiable : en effet, l’homme n’est pas forcément heureux grâce à l’accomplissement de ses désirs mais plutôt par la possibilité qu’il a de pouvoir imaginer un bonheur à venir. Le rêve ou l’attente du bonheur permet à l’homme d’être heureux parce qu’il se donne un but. Ainsi Rousseau écrit : « malheur à celui qui n’a plus rien à désirer » et souligne qu’il est impossible de trouver le bonheur sans désir. Celui qui ne désire plus rien ne peut être heureux. Il ne faut donc pas refouler ses désirs, ses envies personnelles comme le laisse entrevoir la pensée ascétique et en partie Schopenhauer. L’imagination est donc un ingrédient indispensable au bonheur. On se doit d’avoir des désirs, des aspirations personnelles sinon la vie n’aurait aucun sens. Nous serions perpétuellement dans la seule tentative d’éviter le malheur ou alors dans une absence totale d’action comme le pense Calliclès dans son dialogue avec Socrate dans le Gorgias de Platon.  L’homme doit avoir un idéal d’existence et pour cela il doit imaginer et désirer de façon à ce que sa vie ne soit pas vouée à l’échec. Et-il d’ailleurs vraiment possible ou paradoxal de plus rien vouloir et de ne plus rien désirer ? Des philosophes qui le disent ne sont-ils pas encore en train de désirer la vérité ? Il est donc absurde de demander à un homme de refouler complètement ses désirs. Chacun doit s’imaginer une conception de la vie heureuse tout en respectant les lois. Il faut donc tout de même acquérir une certaine vertu afin de désirer le bien et diffuser le bonheur.

 

         Ainsi l’on peut donc dire que le désir n’est pas toujours un obstacle au bonheur. Certes il nous est impossible de négliger le fait que la vie est faite de souffrances, mais nous ne pouvons nous contenter de l’idée que la recherche du bonheur n’est qu’une tentative pour éviter le malheur et la souffrance. Le bonheur ne peut se résumer comme le dit Flaubert à « éviter l’ennui » car le bonheur alors n’en serait pas véritablement un. Il serait passif et dénué de joie. Il est donc vrai que certains désirs doivent être éradiqués pour construire une société harmonieuse et respectueuse des lois mais cette suppression des désirs trouve sa limite. L’homme grâce à une certaine conception du bien et du mal érigée par sa conscience, doit choisir ses désirs et ceux qui pourront le rendre heureux. Il se doit de plus d’imaginer un modèle d’existence et s’efforcer de faire correspondre ses aspirations à la réalité afin de prétendre au bonheur. Il n’y a donc aucun hasard là dedans. En conséquence, l’homme ne doit donc pas croire en cette vision négative mais doit se connaître soi-même et déterminer lucidement ce qui peut le rendre heureux  pour pouvoir l’être.

 

Article écrit par Éric Chevet