Accueil > Articles > Explication d'un texte de Hegel (bonne copie d'élève) par Lalie G.
Publié le 13/01/2019 à 16:57 dans Bonnes copies d'élèves
« La sauvagerie, force et puissance de l’homme dominé par les passions, (…) peut être adoucie par l’art, dans la mesure où celui-ci représente à l’homme les passions elles-mêmes, les instincts et, en général, l’homme tel qu’il est. Et en se bornant à dérouler le tableau des passions, l’art, alors même qu’il les flatte, le fait pour montrer à l’homme ce qu’il est, pour l’en rendre conscient. C’est déjà en cela que consiste son action adoucissante, car il met ainsi l’homme en présence de ses instincts, comme s’ils étaient en dehors de lui, et lui confère de ce fait une certaine liberté à leur égard. Sous ce rapport, on peut dire de l’art qu’il est un libérateur. Les passions perdent leur force, du fait même qu’elles sont devenues objets de représentations, objets tout court. L’objectivation des sentiments a justement pour effet de leur enlever leur intensité et de nous les rendre extérieurs, plus ou moins étrangers. Par son passage dans la représentation, le sentiment sort de l’état de concentration dans lequel il se trouvait en nous et s’offre à notre libre jugement. Il en est des passions comme de la douleur : le premier moyen que la nature met à notre disposition pour obtenir un soulagement d’une douleur qui nous accable, sont les larmes ; pleurer, c’est déjà être consolé. Le soulagement s’accentue ensuite au cours de conversations avec des amis, et le besoin d’être soulagé et consolé peut nous pousser jusqu’à composer des poésies. C’est ainsi que dès qu’un homme qui se trouve plongé dans la douleur et absorbé par elle est à même d’extérioriser cette douleur, il s’en sent soulagé, et ce qui le soulage encore davantage, c’est son expression en paroles, en chants, en sons et en figures. Ce dernier moyen est encore plus efficace ».
HEGEL
Explication du texte:
Les passions désignent l’ensemble des pulsions instinctives, émotionnelles et primitives de l’être humain, qui, lorsqu'elles sont suffisamment violentes, entravent sa capacité à réfléchir et à agir de manière raisonnée. Autrement dit, les passions peuvent rendre l’homme prisonnier de lui-même. Pour Hegel, philosophe allemand du 19ème siècle, la représentation des passions humaines par le moyen de l’art permettrait alors de libérer l’homme. En permettant à l’homme de devenir spectateur de certains de ses sentiments et émotions dont il est lui-même victime, il peut en effet en prendre conscience et les comprendre, les mettre à distance et par là les atténuer. L’expression artistique des passions peut donc être libératrice selon Hegel.
Nous analyserons donc tout d’abord dans une première partie les arguments avancés par Hegel dans ce texte, afin de montrer en quoi l’art peut soulager l’homme de ses passions, puis nous interrogerons ensuite la vision de Hegel afin de savoir si l’art peut vraiment avoir un effet apaisant sur le spectateur.
Hegel dans ce texte affirmatif développe une argumentation sur la question de l’art et sur sa fonction libératrice. Tout d’abord, dès la première phrase de l’extrait on peut se demander pourquoi les passions doivent être « adoucies » (l1). En effet, elles représentent un véritable enjeu, car elles peuvent mener à la « sauvagerie » si elles ne sont pas éclairées et maîtrisées. L’Homme est d’abord dominé par ses passions et ses émotions : il ne les contrôle pas nécessairement.
Dans le premier paragraphe (l1 à 5), Hegel évoque donc la représentation et la mise à distance par l’art des passions humaines qui permet à l’homme d’en prendre conscience. Ainsi, Hegel énonce sa thèse explicitement : la représentation des passions permet, par le biais de l’art, de libérer l’Homme de celles-ci. En effet, l’Homme ne peut pas directement, par la raison, maîtriser ses passions, il a besoin d’un autre moyen qui lui donne du plaisir et l’intéresse : « l’art, alors même qu’il les flatte, le fait pour montrer à l’Homme ce qu’il est » (l3-4). Nous pouvons donc comprendre que l’art, dans un jeu de symétrie entre passions du spectateur et passions d’un artiste, intrigue et intéresse celui qui contemple. Dès lors, un certain sentiment d’appartenance se créé et l’homme prend conscience de ses passions à travers les œuvres d’art, passions sont la transcription de « ses instincts »(l6).
Ainsi, selon Hegel, au-delà de l’effet miroir, il faut flatter les passions tout en les pointant pour les mettre en scène. Pour cela, l’exemple de la tragédie permet de comprendre le texte : elle a pour but d’instruire, d’émouvoir par le spectacle des passions humaines en lutte entre elles et contre le destin. En effet, elle flatte les émotions déjà éprouvées par des artistes, des personnages importants. La tragédie de Corneille, Médée permet à l’Homme de se voir dans la jalousie d’une femme exilée à cause de Jason, l’Homme qu’elle a chéri et aimé au point de le rendre invulnérable. Jason amoureux d’une autre femme, Créuse, rend furieuse Médée qui par la tourmente des passions commet le crime de ses propres enfants et de Créuse. Corneille flatte ainsi la capacité de l’Homme à aimer, une passion qui peut se révéler dévastatrice pour n’importe quel homme ne maîtrisant plus ses sentiments. Le spectateur contemple de l’extérieur ce qu’il a pu lui-même ressentir: l’amour exclusif et le désir de posséder l’être aimé. La vision extérieure d’une passion qui semble universelle permet au spectateur de prendre conscience de sa réalité. Ainsi en voyant des scènes où des personnages ressentent les mêmes choses que nous mais intensifiées, le spectateur est amené à réfléchir. L’Homme n’a pas envie de faire la même chose qu’un personnage tragique, de passer à l’acte en voyant le résultat de cette action. Il y a donc là une extériorisation qui libère et fait perdre en intensité nos passions. Ce phénomène est décrit par le philosophe grec Aristote dans La poétique comme un processus de purification nommée « catharsis ». Nous pouvons donc dire que les passions sont des sentiments involontaires ou intenses extrêmement difficiles à contrôler qui peuvent même en venir à troubler l’esprit. De ce fait il est important d’avoir un regard extérieur sur ses passions afin de comprendre et d’éclairer celles-ci, ce que permet l’art pour Hegel.
Nous avons donc pu observer que les passions sont éclairées par l’art qui donne une vision extérieure à l’homme lui donnant ainsi, la possibilité de prendre conscience du fait que ses intenses sentiments peuvent avoir comme conséquences et d’y remédier avant qu’il ne soit trop tard.
Nous allons maintenant voir que Hegel poursuit son argumentation en approfondissant la représentation des passions par l’art, ce qu’il nomme « l’objectivisation des sentiments » (l9). Dans ce second paragraphe (l5 à 9), la représentation des passions permet au spectateur de supprimer l’aspect immatériel de celles-ci. En effet, tableaux, sculptures mais encore morceaux de musique ou pièces de théâtre permettent au spectateur de mieux comprendre son esprit et d’observer ce que peuvent devenir ses passions s’il ne parvient pas à les contrôler. Dans l’exemple du tableau d’Eugène Delacroix, « Scènes des massacres de Scio », le peintre montre que la haine d’un peuple, ici celui des Ottomans envers les Grecs peut mener à des persécutions (massacre ayant eu lieu en 1822). Ce massacre est le fruit de la vengeance du massacre des Turcs par les Grecs eux-mêmes. Ainsi, l’auteur montre qu’une passion trop intense, ici la haine peut donner lieu à des massacres. De plus, L’art met une certaine distance bénéfique à la prise de conscience du spectateur. Le spectateur ne se reconnaît pas forcément directement dans l’œuvre d’art mais s’il est pris de cette passion saura se rappeler des erreurs ayant été faites par d’autres et du résultat de passions dévastatrices. Cette prise de conscience est permise par cet aspect « matériel » donné à une passion par l’œuvre d’art. De ce fait, l’Homme fait en sorte de « rendre extérieur »l10 ses sentiments par la connaissance, qui lui donne la capacité par l’art de se détacher et donc d’être plus indépendant, plus libre vis-à-vis de ses sentiments, même face à ceux qui se révèlent les plus intenses. Nous pouvons donc percevoir que la représentation des passions par l’art permet de maîtriser ses sentiments les plus intenses, de prendre conscience de leur « force et de leur puissance »l1. Seul, du point de vue intérieur de l’individu, il semble impossible de comprendre ses sentiments et les passions qui nous habitent mais l’art les libère. En conclusion, nous pouvons dire que l’artiste est celui qui soulage ses passions par l’expression de ses sentiments dans ses œuvres d’art et permet aux Hommes de les soulager.
Nous avons donc pu observer que la « flatterie » des passions et leur représentation par l’art sont autant de moyens de faire prendre conscience à l’Homme de la dangerosité de celles-ci poussées à des extrêmes.
Enfin, dans le troisième et dernier paragraphe de l’extrait (l12 à 19), Hegel argumente à propos du soulagement que peut procurer pour un homme l’expression d’une passion d’une manière ou d’une autre. Selon Hegel, le meilleur moyen de combattre les passions est d’occuper son esprit afin d’atténuer et d’oublier les passions. Certes, observer une œuvre d’art peut permettre à un homme de s’identifier puis de se libérer de ses passions, cependant un autre moyen existe. C’est l’expression même des sentiments par l’art ou par des mécanismes humains, naturels, tel que le fait de pleurer qui soulage la souffrance comme le donne pour exemple Hegel dans son texte « pleurer, c’est déjà être consolé »l13-14. Les larmes semblent pour Hegel tout comme l’art d’être un moyen de résister à des passions trop intenses. Ainsi, « parole,[en]chants,[en] sons et [en] figures »l18 sont une énumération de créations artistiques permettant à un Homme d’être soulagé des passions qui l’oppressent. Pour Hegel la musique semble être l’art le plus adapté et « efficace »l20 car il soulage les passions par l’expression de sentiments très diversifiés. Dans l’exemple de « La flûte enchantée » de Bach, musique joyeuse et légère permet de faire oublier par exemple les tourments, la souffrance des Hommes au quotidien. En revanche, dans la musique introductive d’Intouchable se sont plutôt des sentiments de tristesse et de malheur que l’on peut ressentir. La musique exprime par une impression générale des sentiments tels que la gaîté, l’enthousiasme ou la tristesse, la souffrance soulageant la douleur par son action profonde sur l’esprit et notre sensibilité. L’art a une valeur libératrice pour l’Homme face aux passions. Pour certaines personnes l’extériorisation peut aussi se faire en parlant à quelqu’un, « aux cours des conversations »l14 plusieurs personnes vont aujourd’hui voir une psychologue pour soulager les maux qui empoisonnent leur quotidien. Cependant la seule action de parler à un ami peut-être libératrice. Il semblerait que chacun puisse trouver en l’art ou en la nature le moyen d’objectiver les passions. L’artiste est celui qui a les moyens pour exprimer les passions les plus intenses, c’est ce qui fait d’un Homme un artiste, un génie. L’art est un moyen universel pour les exprimer mais c’est bien l’artiste qui parvient au mieux à objectiver ses passions par l’art le soulageant tout autant qu’un quelconque Homme. Cependant, tous les philosophes ne s’accordent pas à dire que l’art libère des passions : pour Nietzsche par exemple, l’art permet plutôt à l’Homme de les exalter.
Cependant l’art est-il réellement un moyen de soigner les passions déchues d’un Homme ? L’art permet-il à chacun de s’élever face aux passions ? La souffrance n’est-elle pas aggravée par l’art et par la prise de conscience ?
Nous allons maintenant nous demander si l’art parvient vraiment à atténuer les passions de l’Homme : ne peut-il pas au contraire avoir un effet amplificateur ou tout simplement ne pas toucher le spectateur ?
Tout d’abord, l’art donne-t-il à l’Homme le moyen de prendre conscience de ses passions. Mais permet-il que l’Homme se libère de celles-ci ? En effet, l’art peut n’avoir aucun effet sur elles. Libérer des passions est-il le but donné à toute œuvre d’art ? Certaines œuvres d’art n’ont tout simplement aucunement le désir de toucher aux passions du lecteur mais sont créées dans le simple but de plaire esthétiquement. Nous pouvons prendre l’exemple du mouvement poétique « le Parnasse » n’ayant pour ultime but le plaisir esthétique. Les auteurs de ce mouvement ne souhaitent en effet pas intervenir sur les sentiments du lecteur. Des poètes tels que Louis Ménard ou Leconte de Lisle (désigné aujourd’hui comme le chef de file), refuse d’engager leurs œuvres dans des causes politiques et sociales souhaitant simplement donner du plaisir au spectateur à la lecture de leur poème. Leurs poèmes deviennent impersonnels et doivent laisser place à la beauté. Le spectateur peut aussi ressentir de forts sentiments en contemplant des œuvres d’art sans pour autant faire de lien avec la réalité. Ainsi, nous pouvons prendre l’exemple du plus grand meurtrier de l’Histoire mais aussi amateur de pièces de théâtre, plus particulièrement de tragédies, Sylla. Bien que particulièrement touché par cet art, Sylla reste un meurtrier et non des moindre, la théorie de la catharsis ainsi promue par Aristote semble pouvoir être remise en cause en prenant cet exemple. En effet, les émotions tragiques semblent trop artificielles bien que se voulant moralisatrice pour l’individu. Rousseau explique que « La pitié est une émotion passagère et vaine ». L’art ne semble donc pas être apte à rendre meilleur l’Homme comme le voudrait Aristote. L’art serait-il trop éloigné de la réalité pour que l’Homme ait la capacité de se reconnaître à travers le portrait des personnages de tragédies. Cette vision de l’art remet alors en cause toute l’explication de Hegel reposant sur la capacité de l’art à « rendre conscient »l4 l’Homme.
Nous avons observé que l’art n’est pas toujours dans la mesure d’atteindre le spectateur et ne peut donc pas apaiser les passions comme le voudrait Hegel. Nous allons d’ailleurs voir que les passions peuvent être amplifiées par l’art au lieu de libérer le spectateur.
Tout d’abord, nous pouvons dire que l’art ne nous libère pas toujours des passions, dans l’exemple de l’art, de la peinture, de la sculpture ou de la musique servant à des idéologies. En effet, la propagande faite par les nazies utilise bien souvent la musique comme par exemple dans de grandes cérémonies. Hitler dans ses apparitions est souvent accompagné de « La chevauchée des Walkyries » composé par Richard Wagner. Cette musique est inspirée de la mythologie germanique et des vierges guerrières ayant pour tâche de choisir les héros morts sur le champ de bataille pour les ramener dans le domaine des Dieux. Cet extrait de l’opéra, « La Walkyries » a un caractère imposant, puissant, violent et guerrier qui sert à l’idéologie nazie dans la manipulation des esprits par la promotion de la race ayrienne désignée comme supérieur. La musique dans des régimes totalitaires est récupérée pour faire de la propagande, elles sont détournées afin d’encadrer la population et de la convaincre de la légitimité des idées parfois racistes de régimes. Nous pouvons donc dire que l’art détourné peut au lieu de libérer des passions les intensifier. Nous pouvons également observer dans certaines variétés de musiques, telle que la musique militaire ou le RAP au lieu de libérer des passions en font la promotion.
Ces comportements peuvent se révéler dangereux puisque l’intensification des passions mène à la « sauvagerie »l1 pour des individus ne parvenant pas à faire de distinction entre la réalité de la vie et l’illusion que procure l’art. De plus, l’art peut aussi faire naître des passions pour certains individus ou les renforcer pour d’autres. Les romans par exemple peuvent pervertir les individus et non les éduquer comme le voudraient les philosophes des Lumières. Dans l’exemple du Marquis de Sade qui dans tous ses romans fait l’apologie de ses désirs, les romans peuvent se révéler comme berceau de passions perverses telles que le meurtre, l’inceste mais encore le viol et bien d’autres idées pornographiques et érotiques proscrites pour leur teneur morale. L’art peut être vu comme un instrument de corruption de l’esprit. Le philosophe Rousseau considère que « l’Homme est naturellement bon[…] mais qu’il voie comment la société déprave et pervertit les Hommes ». En outre, l’art dans l’exemple du théâtre met en scène des passions qui enflamment celles du spectateur. Le théâtre classique bien qu’encadrer par les règles de bienséance qui donnent une impression de retenue et de pureté reste un art mettant en scène la violence des passions. Dans l’exemple de « Phèdre » de Racine, dans la scène 5 de l’acte 2, la violence de la passion amoureuse d’une mère devant son beau-fils à qui elle finit par tout avouer. Ces scènes de passion ne permettent pas au lecteur d’être plus libre vis-à-vis de ses passions mais au contraire choquent par la violence de passions destructrices. Enfin, l’art ne nous permet pas de nous libérer de nos passions puisqu’il oblige à réfléchir et plus particulièrement à regarder la dure réalité en face. L’art engagé par exemple demande à l’Homme de considérer avec attention des évènements du passé ou même des évènements actuels dans le but de montrer par exemple les atrocités des guerres. Le tableau triptyque d’Otto Dix « La guerre » de 1924 montre la guerre des tranchées (1914-1918). L’art de guerre permet de faire comprendre aux Hommes la perversité du besoin de pouvoir et de gloire des Hommes. Au lieu de libérer des passions cet art montre les comportements humains de manière choquante et amplifie les passions dont celle du désespoir mais aussi celle de la tristesse.
Pour conclure, nous avons pu découvrir la vision de Hegel sur l’art qui pour lui est capable de libérer les passions de l’Homme. Hegel nous offre une réflexion qui prend pour appui la domination des passions par des mécanismes que permet l’art. Ces mécanismes sont tels que la représentation des passions et leur objectivisation mais encore leur expression qui délivre l’Homme. La conscience et la compréhension des passions est pour Hegel la clef de la libération des passions. Cependant nous avons pu observer que l’art, bien au contraire, peut amplifier ou ne pas atteindre le spectateur. L’art n’a pas toujours pour but ou effet de délivrer l’homme des passions, de plus, le spectateur peut ne pas parvenir à faire le lien entre art et réalité. Le problème réside aussi dans le fait que l’art peut être utilisé dans un but de corruption de l’esprit ou dans la naissance de passions mais encore dans l’intensification des passions. Au fil de la démarche nous avons pu découvrir nombre de problématiques soulevées par le sujet, dont la relation entre l’art et la réalité.