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Bonne copie de Lilian L. à propos d'un texte de Simone Weil sur la liberté, extrait de ses "Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale" (1934).

Image de l'articleBonne copie de Lilian L. à propos d'un texte de Simone Weil sur la liberté, extrait de ses "Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale" (1934).

Publié le 13/01/2022 à 23:13 dans Bonnes copies d'élèves

TEXTE: 

« La liberté parfaite ne peut pas être conçue comme consistant simplement dans la disparition de cette nécessité dont nous subissons perpétuellement la pression ; tant que l’homme vivra, c’est-à-dire tant qu’il constituera un infime fragment de cet univers impitoyable, la pression de la nécessité ne se relâchera jamais un seul instant. Un état de choses où l’homme aurait autant de jouissances et aussi peu de fatigues qu’il lui plairait ne peut pas trouver place, sinon par fiction, dans le monde où nous vivons. […]

Il existe une conception bien différente de la liberté, une conception héroïque qui est celle de la sagesse commune. La liberté véritable ne se définit pas par un rapport entre le désir la satisfaction, mais par un rapport entre la pensée et l’action ; serait tout à fait libre l’homme dont toute les actions procéderaient d’un jugement préalable concernant la fin qu’il se propose et l’enchaînement des moyens propres à amener à cette fin. Peu importe que les actions soient couronnées de succès ; la douleur et l’échec peuvent rendre l’homme malheureux, mais ne peuvent pas l’humilier aussi longtemps que c’est lui-même qui dispose de sa propre faculté d’agir. Et disposer de ses propres actions ne signifie nullement agir arbitrairement : les actions arbitraires ne procèdent d’aucun jugement, et ne peuvent à proprement parler être appelés libres. Tout jugement porte sur une situation objective et, par suite, sur un tissu de nécessités. L’homme vivant ne peut en aucun cas cesser d’être enserré de toute part par une nécessité absolument inflexible ; mais comme il pense, il a le choix entre céder aveuglément à l’aiguillon par lequel elle le pousse de l’extérieur, ou bien se conformer à la représentation intérieure qu’il s’en forge ; et c’est en quoi consiste l’opposition entre servitude et liberté. Les deux termes de cette opposition ne sont au reste que des limites idéales entre lesquelles se meut la vie humaine sans pouvoir jamais en atteindre aucune, sous peine de n’être plus la vie. Un homme serait complètement esclave si tous ses gestes procédaient d’une autre source que sa pensée, à savoir ou bien les actions irraisonnés du corps ou bien la pensée d’autrui : l’homme primitif affamé dont tous les bonds sont provoqués par des spasmes qui tordent ses entrailles, l’esclave romain perpétuellement tendu vers les ordres d’un surveillant armé d’un fouet, l’ouvrier moderne qui travaille à la chaîne, approchent cette condition misérable[…]

On ne peut rien concevoir de plus grand pour l’homme qu’un sort qui le mette directement aux prises avec la nécessité nue, sans qu’il ait rien à attendre que de soi, et tel que sa vie soit une perpétuelle création de lui-même par lui-même [ …]. L’homme est un être borné à qui il n’est pas donné d’être comme le dieu des théologiens., l’auteur direct de sa propre existence ; mais l’homme posséderait l’équivalent humain de cette puissance divine si les conditions matérielles qui lui permettent d’exister étaient exclusivement l’œuvre de sa pensée dirigeant l’effort de ses muscles. Telle serait la liberté véritable.

Cette liberté n’est qu’un idéal, et ne peut pas plus se trouver dans une situation réelle que la droite parfaite ne peut être tracée par le crayon. Mais cet idéal sera utile à concevoir si nous pouvons nous apercevoir en même temps ce qui nous sépare de lui, et quelles circonstances peuvent nous en éloigner ou nous en rapprocher ».

Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale (1934).

Copie de Lilian L. :

« Sans jugement, il n’y a point de liberté », ce que le philosophe français Alain énonce dans cette phrase, à savoir l’idée que la liberté ne peut exister si l’on n’a ni but, ni raisons d’agir, se retrouve dans ce texte. Il est extrait des réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale écrit par Simone Weil en 1934. Cette philosophe existentialiste chrétienne et française née en 1909, cherche dans ce texte à définir la liberté. Il est ici question de savoir s’il l’on peut accéder à une liberté parfaite ; la philosophe commence par définir ce que pourrait être une liberté parfaite ; au premier abord, on pourrait penser qu’une liberté parfaite consisterait à pouvoir faire tout ce que l’on veut sans qu’aucune limite ne nous restreigne. Pour Simone Weil, on ne peut s’appuyer sur cette définition, car si on la définit ainsi, la liberté parfaite n’existe pas. Elle préfère donc parler de liberté véritable et cherche à démonter qu’elle est un idéal inaccessible mais que l’on peut s’y approcher en étant rationnel, que l’on est d’autant plus libre que l’on a de raisons d’agir. Pour démonter cela, elle commence par réfuter l’opinion commune selon laquelle il suffit de se débarrasser de toutes les contraintes qui pèsent sur nous pour être parfaitement libre (lignes 1 à 6) ; puis elle définit ce qu’est une liberté véritable (lignes 7 à 12). Ensuite la philosophe énonce que ce qui est arbitraire ne peut être libre (lignes 12 à 14) puis elle le démontre cet argument dans les lignes 14 à 18. Elle annonce un nouvel argument comme quoi on ne peut jamais être entièrement libre ou asservi (lignes 18 à 25) et enfin elle affirme l’intérêt de concevoir cette liberté comme un idéal (lignes 25 à 31).

Dans un premier temps, l’auteure tente de définir ce que pourrait être une liberté parfaite en commençant par dire ce qui ne peut définir une liberté parfaite, à savoir la disparition de « la nécessité ». Ce que Simone Weil appelle nécessité, on peut le définir comme le contraire de la contingence, c’est donc tout ce qui s’impose à nous ; en d’autres termes, la nécessité c’est tout ce qui est déterminé. Ainsi, pour la philosophe, il a toujours un déterminisme qui s’impose à l’homme, on ne peut donc pas concevoir une liberté parfaite qui consiste en la disparition de cette nécessité puisque cette nécessité ne peut disparaitre ; il faudrait donc concevoir une liberté parfaite avec cette nécessité, ou pas de liberté parfaite du tout. L’auteure démontre ensuite que l’on ne peut échapper à la nécessité en définissant le fait de vivre comme le fait d’appartenir à un « univers impitoyable » ; cette définition fait écho au déterminisme intégral des stoïciens, pour qui l’univers est un Cosmos où tout est déterminé. Rien ne montre pour autant que l’auteure est fataliste, néanmoins on peut constater qu’elle affirme l’existence de nombreux déterminismes, et, en effet, personne ne peut s’arroger le pouvoir de contrôler l’univers. C’est pourquoi Simone Weil annonce que la nécessité ne peut être absente que « par fiction », et donc est forcément présente dans la réalité ; on peut tout de même remarquer que dans cette même phrase elle ne nomme pas la nécessité directement mais lui donne une définition plus précise que tout ce qui est déterminé, puisqu’elle la définit comme source de « fatigue » et comme contraire aux « jouissances ».

Puisque la liberté parfaite, définie comme l’absence de nécessité, ne peut exister ; Simone Weil va donc chercher à définir ce que pourrait être la liberté, une liberté véritable.

Simone Weil définit la liberté véritable comme « un rapport entre la pensée et l’action » qu’elle oppose à « un rapport entre le désir et la satisfaction », en d’autres termes, nos choix ne sont pas libres parce qu’ils émanent de désirs, ni parce qu’ils procurent de la satisfaction ; ainsi, la liberté ne dépend pas des « jouissances » que l’on pourrait avoir en exerçant cette dernière, et donc, qu’il y ait ou non des jouissances, c’est-à-dire que l’on subisse ou non le poids d’une quelconque nécessité, il peut y avoir de la liberté, indépendamment des déterminismes qui s’imposent à nous. En effet, pour la philosophe, la liberté véritable doit être « pensée » et résulte dans l’action elle-même plutôt que son résultat, c’est ce qu’elle explique et explicite dans les phrases suivantes en annonçant que « le succès », « la douleur », et « l’échec » ne dépendent pas de notre liberté, et réciproquement.

On serait donc tentés de penser à ce moment-ci du texte que, qu’importe ce que l’on fasse, l’on est autant libre puisque l’on réussisse ou que l’on échoue notre liberté resterait la même ; mais cela, Simone Weil le contredit car s’il est vrai que, pour elle, ce qui vient après l’action est indépendant de l’exercice de notre liberté (en effet une même action faite sous contrainte ou imposée conduirait aux mêmes conséquences), il est aussi vrai c’est ce qui précède l’action qui détermine notre liberté.

En effet, la philosophe considère qu’une action est plus ou moins libre selon le jugement préalable, c’est-à-dire le fait que cette action ait été pensée, qu’elle émane d’un choix rationnel. Ainsi la liberté véritable se trouve dans les actions précédées d’un jugement et si toutes les actions d’un homme étaient ainsi, on pourrait dire de lui qu’il est « tout à fait libre ». Simone Weil, en expliquant cela, nous indique également qu’elle considère que cette liberté est inatteignable car utilise le conditionnel pour en parler (« serait » ligne 8). Elle oppose ce jugement préalable au fait d’agir « arbitrairement », c’est-à-dire au fait d’agir sans raison ; et ces actions arbitraires, pour l’auteure, ne peuvent même pas être « appelé[e]s libres » Cela peut paraitre étonnant : nous serions donc libres d’agir selon nos raisons mais si nous décidons d’en faire le contraire, nous ne le serions plus ? C’est pourtant la définition même du libre-arbitre que de pouvoir faire une chose ou son contraire. On retrouve ici une vision cartésienne de la liberté, en effet, pour Descartes, On a un plus haut degré de liberté lorsque l’on a des raisons d’agir, et inversement ; car ce dernier considérait que toute action arbitraire était faite dans l’ignorance.

Ainsi, on serait plus libre quand on a des raisons d’agir car lorsque l’on agit arbitrairement nous ne sommes pas libres ; encore faut-il prouver qu’agir arbitrairement nous empêche d’être libres, et c’est ce que fait la philosophe.

Simone Weil nous l’explique en nous indiquant que « tout jugement porte sur une situation objective », et donc sur la nécessité, dont elle rappelle immutabilité. C’est bien parce que le jugement prend en compte la nécessité, et donc la réalité, qu’il permet d’accéder à la liberté. Ainsi, agir arbitrairement c’est ne pas prendre en compte cette nécessité et donc la subir le fait qu’elle va diriger nos choix. Bien que tout homme qui vit subit cette nécessité, il peut faire ses propres choix en les composant avec cette nécessité, dans le cas contraire il la subirait encore plus puisque ce ne seraient pas ses propres choix qu’il ferait s’il n’y avait pas de jugement préalable. L’auteure illustre cela avec une métaphore : elle compare les actions arbitraires au fait de « céder aveuglément à l’aiguillon » que contrôle la nécessité. Cette comparaison est intéressante puisqu’une action arbitraire étant une action faite au hasard, on peut penser que Simone Weil réfute le fait que les actions arbitraires soient faites librement, par le fait qu’il n’y a pas de véritable hasard – désigné dans la métaphore par le terme « aiguillon » - et donc que faire un choix au hasard revient à laisser la nécessité choisir pour nous.

La philosophe nous montre donc que les choix raisonnés sont synonymes de liberté et que les choix arbitraires constituent une servitude auprès de la nécessité. On peut donc se demander si nos choix font de nous des êtres libres ou des esclaves ?

Simone Weil apporte une autre réflexion sur la liberté : on ne peut jamais pleinement l’atteindre et il en est de même pour la servitude. Ce sont pour elle des « limites » ; et en effet cela est tout à fait logique si l’on s’en tient aux définitions que l’on a donné à la liberté et à la servitude : puisque personne ne vit en ne faisant seulement des choix rationnels ou seulement des choix arbitraires, alors personne n’est pleinement libre ou esclave. Effectivement, il nous est impossible de ne jamais faire de choix arbitraires puisqu’il est des choses que l’on ignore : notre connaissance est limitée, donc notre capacité à faire des choix rationnels l’est également ; Ainsi l’on peut dire que les limites de notre connaissance sont les limites de notre liberté. La servitude ne peut elle aussi jamais être pleinement atteinte car, aux dires de la philosophe, ce « n[e serait] plus la vie » ; en effet, elle définit l’esclave comme un homme dont les « gestes procèd[ent] d’une autre source que sa pensée » et si l’on s’en tient à une définition cartésienne de l’existence, cogito ergo sum, le fait de penser prouve que l’on est, et donc tout ce qui est peut penser or, si aucune de nos pensées vient de nous, l’existence que nous « vivons » n’est pas notre puisque ne nous n’avons pas nos propres pensées, en d’autres termes : la servitude ne peut être pleinement atteinte car ce ne serait alors plus la vie, plus notre existence. Nous ne sommes donc jamais complètement esclaves, puisque nous vivons, mais il ne faut pas nier pour autant le fait que certaines personnes le sont plus que d’autres car leurs actions sont orientées par le « corps » ou « la pensée d’autrui », c’est-à-dire tout ce qui vient s’ajouter à la nécessité. La philosophe illustre cela en comparant l’homme primitif, l’esclave romain et l’ouvrier moderne par ce qu’ils ont de commun : leur proximité avec la servitude.

La servitude la plus totale consiste donc en la privation de toute pensée propre à nous-mêmes et que seule la nécessité dirige toutes nos actions, mais qu’en est-il de la liberté la plus totale ? En quoi consiste-t-elle ?

L’auteure termine son paragraphe en décrivant ce que serait la liberté la plus parfaite, à savoir lorsque l’entièreté de nos choix sont guidés par notre raison. Cette liberté ne peut être sans limites puisque, au même titre que la servitude la plus totale se heurte à notre propre existence, la liberté la plus totale se heurte à la nécessité, et donc d’une certaine manière à notre existence puisque tant que l’homme vivra, il la subira. Ainsi, l’homme n’est véritablement libre uniquement lorsqu’il compose ses choix avec rien d’autre que « la nécessité nue » et que « sa vie soit une perpétuelle création de soi par soi » ; si l’on reprend l’exemple de l’ouvrier, qui est bien loin de la liberté véritable, peu importe si son travail ne lui apporte pas de « jouissances » ou qu’il soit fatiguant – c’est-à-dire peu importe la nécessité nue – ; ce qui l’empêche de s’approcher de la liberté c’est tout ce qui vient s’ajouter à cette nécessité, tout ce qui vient l’habiller pour reprendre la métaphore de la philosophe. Dans l’exemple de l’ouvrier se sont les cadences de travail qu’on lui impose qui vont l’éloigner de cette nécessité nue et donc l’éloigner de la liberté véritable ; et puisqu’il est impossible d’y accéder totalement – il y aura toujours des contraintes extérieures qui viendront s’ajouter à celles liées à notre existence et notre corps, c’est-à-dire à la nécessité nue – on peut donc dire de cette liberté qu’elle est un « idéal ». Et même s’il est inatteignable, Simone Weil souligne son intérêt en tant qu’outil d’analyse des « circonstances [qui] peuvent nous en éloigner ou nous en rapprocher ». Ainsi, si l’on reprend l’exemple de l’ouvrier, cette conception de la liberté permet de monter qu’il est plus éloigné que son patron de la liberté véritable à cause des circonstances économiques qui pèsent sur lui, comme par exemple le fait qu’au début du XXème siècle il ne pouvait se permettre de s’absenter s’il le voulait car il risquerait de perdre son emploi, et donc sa seule source de revenu ce qui limiterait donc d’autres de ses libertés puisque sans argent moins de choix s’offrent à lui.

En somme, Simone Weil nous définit une liberté véritable comme un idéal inatteignable mais dont on peut se rapprocher ; il existerait ainsi plusieurs degrés de libertés comme le pense Descartes qui nous situent plus ou moins loin de la servitude ou de la liberté. Cette liberté véritable se définit avec la nécessité plutôt que sans car il y aura toujours de la nécessité dans l’existence humaine. Il faut donc accepter cette nécessité et faire des choix rationnels en la prenant en compte pour s’approcher de cette liberté véritable, car si l’on agit arbitrairement nos actions seront le résultat d’une nécessité, provenant d’autrui ou d’une pulsion notamment. Mais nous sommes inégaux face à cette nécessité qui, selon les circonstances, pèse plus ou moins sur nous, ce qui conduit à élargir ou réduire l’étendue de nos choix ; Car si nous sommes d’autant plus libres que l’on a de raisons d’agir, sommes-nous d’autant plus libres que l’on a de choix qui s’offrent à nous ? Car l’on pourrait avoir des raisons pour un choix qui nous est inaccessible.

Article écrit par Éric Chevet