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"l'enfer c'est les autres" analyse de la formule de Sartre par Solène Simonneaux (TS2)

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Publié le 08/02/2009 à 18:05 dans Analyse de citations

L’enfer c’est les autres " J.P. Sartre.

ou … pour une théorie des " morts-vivants"…

" L’enfer c’est les autres ". Cette phrase a été formulée par Jean-Paul Sartre dans sa pièce de théâtre intitulée Huis clos dont la première représentation a eu lieu en 1944. Jean-Paul Sartre fut un romancier, un dramaturge et un journaliste français engagé mais surtout un des grands philosophes du 20ème siècle. Cette phrase pose la question des difficultés que nous rencontrons dans nos rapports avec les autres. Interroger cette formule revient en effet à se poser la question de savoir dans quelle mesure les relations que nous pouvons avoir avec les autres peuvent (ou non) devenir infernales. Si les autres peuvent nous rendre heureux, ils peuvent aussi nous placer en enfer, lorsque l’autre devient source de contrariété, de soucis et produit un monde invivable.

On peut donc se demander ce qui amène une relation à être insupportable et inextricable. Comment se fait-il que le rapport avec l’autre puisse engendrer un sentiment de douleur ? Dans un premier temps nous verrons que les rapports avec les autres peuvent parfois nous conduire à l’enfer. Puis nous chercherons quelle est la cause de cet enfer que Sartre nomme " l’encroûtement " qui paradoxalement révèle notre liberté. Pour finir, nous verrons le raisonnement de Sartre et les idées pouvant être abordées à partir de ce thème, par exemple le concept d’aliénation.

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Si l’on reprend pour commencer la question de savoir comment la relation avec les autres peut devenir infernale, il faut d’emblée préciser que, pour Sartre, la formule ne veut pas dire que la relation avec les autres est toujours infernale ou qu’elle nous place toujours en enfer c’est-à-dire dans des relations conflictuelles ou aliénantes.

En effet on pourrait comprendre initialement que les autres sont en permanence un enfer pour chacun d’entre nous. Par le terme " d’enfer " on pourrait entendre l’idée d’un enfermement en une situation spatiale mais aussi temporelle qui serait extrêmement pénible. " Les autres " : ces mots désigneraient alors toutes les personnes de notre entourage avec lesquelles nous avons un rapport qui toujours deviendrait au bout du compte problématique. Une première lecture de l’idée que " l’enfer c’est les autres " serait qu’on ne peut avoir avec autrui que des rapports viciés et empoisonnés.

Néanmoins pour Sartre, les rapports humains ne sont pas toujours tordus ou altérés. En effet, il existe des moments de partages, d’écoutes, de discussion sans qu’il y ait de conflits ou une viciation de la relation entretenue. Alors si les autres ne sont pas toujours la cause d’une relation infernale quand le sont-ils ? Qu’est-ce qui entraîne ces relations ?

Selon Sartre, lorsqu’on veut se connaître, savoir qui l’on est, on le fait grâce à des éléments extérieurs qui nous caractérisent (nos actions, nos paroles) et que les autres perçoivent. Ce sont alors ces connaissances que les autres ont déjà sur nous et qui, en somme, leur appartiennent déjà puisque qu’ils nous jugent dès qu’ils nous voient par lesquelles nous nous découvrons nous-mêmes. En somme, les autres nous donnent toujours une matière à réfléchir sur nous-mêmes. Donc lorsqu’ils nous donnent ces éléments, la vision qu’ils ont sur nous entre aussi en compte dans le regard que nous avons sur nous-mêmes, ce qui fait que l’on se perçoit toujours à travers l’opinion d’autrui. Comme le dit Sartre dans l’Etre et le Néant : " autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même " ce qui signifie que la compréhension que nous avons de nous dépend de la vision que les autres ont de nous.

Comme les relations avec autrui peuvent être malsaines, et peuvent conduire à la dépendance de l’opinion d’autrui, alors les jugements portés sur nous seront forcément pénibles à vivre, si l’on n’arrive pas à s’en détacher. Si nous restons en totale dépendance des visions qui nous sont imposées par les autres sur nous-mêmes, alors la situation dans laquelle nous nous trouvons est infernale, invivable. Nous devenons dépendants et enfermés par le regard que les autres portent sur nous. Autrement dit, ce qu’il y a d’infernal dans la relation à l’autre, c’est l’incapacité que nous pourrions avoir de nous émanciper des jugements qu’il porte sur nous et qui sont toujours plus ou moins réducteurs par rapport à notre propre liberté.

Mais les rapports avec les gens peuvent être très variés, sans pour autant amener à un enfer. Finalement l’autre est ce qu’il y de plus important dans la connaissance de soi-même et dans notre vie. Le jugement d’autrui peut être un enfer mais est aussi inversement ce dont nous ne pouvons pas nous passer et sans lequel nous ne trouvons pas notre équilibre.

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Dans un second temps, on peut voir dans cette formule que Sartre parle d’enfer et donc qu’il désigne par là un lieu où l’on va lorsqu’on est mort. On peut donner ici au mot " mort " un sens figuré : être mort cela peut caractériser les hommes, lorsqu’ils sont inactifs, lorsqu’ils cessent de changer quoique ce soit à ce qu’ils sont, de telle sorte qu’ils ne modifient plus rien en eux qui permettrait aux autres d’avoir sur eux un regard différent.

Comment les autres nous jugent-ils ? Par tous les éléments qu’ils obtiennent sur nous, par tout ce que l’on extériorise, c’est-à-dire nos paroles et nos actes. Ainsi si ce qui nous définit est cela même que nous faisons, alors " la mort " peut être comprise ici comme un enfermement dans les routines et les habitudes. Nous sommes par conséquent enfermés dans un cycle de vie : c’est ce que Sartre appelle " l’encroûtement ". Si l’on ne réagit d’aucune manière, et que nous avons avec les gens des rapports qui sont empoisonnés, malsains, cela nous amènera à une situation insupportable.

Dans l’encroûtement, on souffre des jugements portés sur nous mais on ne modifie pas pour autant nos habitudes : c’est un cercle vicieux. En effet, comme on ne brise pas le cadre de ces soucis, ce qui nous opprime et ce qui nous fait souffrir, on ne change donc pas non plus ce que les autres voient de nous, ni donc leurs pensées à notre égard. À partir de là, on reste prisonnier du regard porté sur nous qui est toujours plus ou moins " chosifiant " et l’on en subit les conséquences : on devient victime du jugement d’autrui.

Ce que Sartre ne formule pas mais que l’on suppose c’est qu’à partir du moment où l’on est dans ce cercle vicieux, l’autre devient un fléau. De plus la relation avec celui-ci est empoisonnée, l’attitude qui en résulte est un rapport d’hostilité : cela engendre de la méchanceté. Il peut aussi s’en suivre, à la place d’un conflit, une fuite, une esquive face à ce jugement : on sera alors dans une situation où l’on est lâche. Dans les deux cas on en est que plus méprisable.

Ceci montre que puisque l’on ne peut se sortir de cette situation, ces caractères de lâcheté ou de méchanceté ne peuvent être ôtés. Cela conduit à une sorte de stagnation de la vie, de ce que l’on est, et cela parce qu’il n’y a pas d’évolution des rapports. Si le seul souci que l’on a est l’opinion portée sur nous et s’il y a un " arrêt la vie ", est cela induit qu’il y a une mort de l’être (dans son activité) : Sartre baptise cela une " mort vivante ".

Cependant nous sommes vivants. Ceci est la preuve suffisante que l’action est toujours en notre pouvoir et que finalement on est jamais totalement mort (on agit toujours). Nous avons donc continuellement la possibilité de changer les actes sur lesquels on avait été jugé, par d’autres actes. On peut toujours choisir d’agir puisque nous ne sommes pas morts : nous sommes libres. Ainsi quand certaines personnes sont encroûtées dans leurs coutumes et habitudes, c’est parce qu’elles le veulent et elles dépendent alors totalement du jugement d’autrui : elles sont en enfer. Mais si l’on est dans ce cercle infernal, on est tout aussi libre de le briser que d’y rester. Pour Sartre, on est tout autant responsable du fait d’être en enfer que du fait de pouvoir en sortir.

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Ainsi Sartre nous présente son point de vue sur la question de la souffrance dans les rapports avec autrui. Il commence son argumentation par ce qui paraîtrait être un sujet plus " global " sur le propre jugement de soi-même, à savoir que les autres sont les premiers à juger et que la propre connaissance de nous-mêmes, dépend donc d’autrui. Sartre en déduit donc que c’est dans certaines situations que ces jugements deviennent infernaux : quand nous restons enfermés par le regard des autres. Il a alors bien démontré le rôle fondamental de nos semblables pour chacun d’entre nous.

À partir de là, il explique quelles sont ces mauvaises situations qui font que l’on souffre des opinions sur nous. Il l’explique grâce à la pièce de Huis clos qui illustre sa phrase " l’enfer c’est les autres ". Sartre part d’une situation où les gens sont "encroûtés" dans leurs habitudes, puis il montre qu’ils subissent les jugements sur eux sans pour autant avoir la volonté de les changer. Il appelle cela " une mort vivante " mais comme nous sommes vivants, il montre par l’absurde que nous remplaçons les actes par d’autres actes et c’est ce qui nous fait vivre : c’est notre liberté.

Finalement la formule " l’enfer c’est les autres " se rapporte à trois éléments : rapport avec les autres, encroûtement et liberté. L’objectif de Sartre est de montrer par l’absurde que même si des personnes sont " encroûtées " dans leurs coutumes, même si elles sont " mortes " nous sommes en réalité toujours vivants puisqu’il y a toujours en l’homme une liberté, liberté qui peut toujours briser le cercle d’enfer dans lequel nous sommes mais aussi qui peut faire le choix d’y rester. Pourquoi vouloir souffrir ? Certes pourquoi ne pas briser ce cercle puisque l’on en est libre ?

Cependant Sartre ne présente pas les autres contraintes que l’homme peut subir, qui l’amèneraient à se résigner à un " mode de vie ". En effet il existe des limites aux modifications que l’on peut obtenir pour soi : il existe des frontières morales et éthiques, des lois… De plus il existe des formes d’aliénation qui nous empêchent de choisir par nous-mêmes, sans qu’il ait nécessairement esclavage comme dans l’antiquité. Il est possible qu’on soit déterminés par certaines choses. Par exemple la technique et le travail peuvent nous aliéner sans que l’on ait voulut, et c’est le système qui crée cette dépendance, et l’homme est parfois impuissant face à tout un système qui l’oppresse. Même s’il est libre, l’homme ne peut donc pas se reconstruire à l’infini.

Lorsque Sartre écrit " l’enfer c’est les autres ", on pense d’abord que Sartre exprime une vérité générale toujours valable : les autres seraient en permanence en enfer par leurs rapports. Or ce n’est pas cela du tout, nous l’avons montré. Même si comme l’a dit Thomas Hobbes " l’homme est un loup pour l’homme ", cela ne veut nullement dire que cela est perpétuel.

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En conclusion, le problème soulevé par la " remarque " de Sartre était de savoir comment les relations humaines peuvent devenir insupportables et inextricables. On a donc vu les trois éléments qui structurent sa thèse : il y a d’abord le rapport à l’autre qui est l’élément fondateur de sa démonstration. En effet, à partir de là, on voit qu’il existe un encroûtement de certaines personnes et donc aussi par opposition, une liberté de l’action chez les hommes.

Mais on a vu que lorsqu’il formule cette pensée, elle peut être mal interprétée, de même que l’homme ne peut pas toujours se changer pour ne plus dépendre des autres. Mais l’on peut aussi souffrir du jugement des autres parce que leurs opinions ne sont pas " justes " (par exemple le racisme). Dans ces cas là, c’est le regard porté par autrui qui doit changer.

Solène Simonneaux

Article écrit par Éric Chevet